Moi aussi de retour parfois en un moi-même (où coule un ru glacé tout scintillant de brèmes - extrême et oublié), je m'ouvre au vieux décor. Esprit piqué de guêpes !
Écoute dans l'enfant le bois tendre et moisi où rouissaient des cèpes, où vieillissait l'étang.
Que de fois moi aussi dans les roseaux sans âge je me suis comparé au cri silencieux de la poule sauvage tombée dans le marais.
Ii Prince en exil ! Rêvant aux choses périssables...
Ont-elles donc péri ?
J'en cherche du pied nu l'empreinte sur les sables - je ne suis pas guéri.
Au départ, dans les années 1930, L'Exode est un poème dramatique à plusieurs voix qui évoque la déportation et l'exil des juifs à Babylone sous Nabuchodonosor au VIIe siècle av. J.-C. Pendant l'Occupation, Fondane a repris son poème pour y insérer le récit d'un autre exode, qu'il a vécu, celui des Parisiens fuyant la capitale devant l'avancée allemande en juin 1940. Du coup, l'histoire des juifs relue et réactualisée prenait une dimension universelle. Enfin, il a fait précéder son poème de ce grand texte prophétique qu'est la « Préface en prose »:
C'est à vous que je parle, hommes des antipodes, je parle d'homme à homme, avec le peu en moi qui demeure de l'homme, avec le peu de voix qui me reste au gosier, mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il ne pas crier vengeance! L'hallali est donné, les bêtes sont traquées, laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots que nous eûmes en partage - il reste peu d'intelligibles! Un jour viendra, c'est sûr, de la soif apaisée, nous serons au-delà du souvenir, la mort aura parachevé les travaux de la haine, je serai un bouquet d'orties sous vos pieds, - alors, eh bien, sachez que j'avais un visage comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.
Benjamin Fondane était un sismographe, a pu écrire Maurice Roche, non pas qu'il enregistrait les secousses, mais parce qu'il les prévoyait. Ses poèmes annonçaient le désastre imminent qu'allait connaître les juifs et l'humanité tout entière. C'est particulièrement vrai du recueil Titanic, écrit en 1936, au moment où le Front populaire arrivait au pouvoir en France et où Fondane effectuait son second voyage en Argentine afin d'y tourner le film Tararira, alors qu'il espérait trouver dans ce pays une terre d'exil.
C'est un re^ve effrayant et je m'y trouve encore.
- Une chose mouvante et qu'on appelle Terre coule a` pic, lentement, hors du regard de l'e^tre...
A` ba^bord, le linge se`che comme avant le de´luge, calme le jeu d'e´checs se poursuit, un pion avance, la danse dans le hall pe´ne`tre dans les chairs avec l'odeur sucre´e des tropiques... [...].
A` cinq minutes de la fin du monde l'orchestre attaque le Tonnerre...
La Beaute´ meurt d'e´puisement sur les genoux des spectateurs e´mus par cette Nuit savoureuse entre toutes...
Ulysse, figure de l'émigrant, de l'errant, incarne le destin de l'homme, du poète et du « juif naturellement et cependant Ulysse ».
Ulysse que nous publions ici est la première version du poème paru dans les Cahiers du Journal des Poètes, à Bruxelles, 1933. Cette version d'Ulysse que Fondane a maintes fois remaniée n'avait pas été publiée depuis 1933.