Contre tous les académismes, Fondane intente un procès à la poésie afin de libérer le poème de tout contrôle rationnel qui en déformerait la puissance d'un acte de participation à la vie.
L'intuition centrale du Faux Traité d'esthétique est que la poésie est une affirmation de réalité, celle de l'exis - tant singulier, pour la libérer de ses diverses aliéna - tions, bref qu'il existe une autonomie existentielle de l'acte poétique, indépendant de toutes les finalités morales, politiques et idéologiques ou esthétiques.
L'autre intuition de cet essai, corrélative de la pre - mière, est indiquée par son sous-titre, « Essai sur la crise de réalité ». Il s'agit de la portée « ontologique » de la véritable poésie, apte selon Fondane à saisir une réalité infinie, oubliée et refoulée par la conscience rationnelle. C'est pourquoi la poésie se définit essen - tiellement comme une affirmation restitutrice de pouvoirs perdus qui s'oppose aux puissances déréali - santes de la rationalité critique et réflexive qui nous éloigne de l'innocence première.
Moi aussi de retour parfois en un moi-même (où coule un ru glacé tout scintillant de brèmes - extrême et oublié), je m'ouvre au vieux décor. Esprit piqué de guêpes !
Écoute dans l'enfant le bois tendre et moisi où rouissaient des cèpes, où vieillissait l'étang.
Que de fois moi aussi dans les roseaux sans âge je me suis comparé au cri silencieux de la poule sauvage tombée dans le marais.
Ii Prince en exil ! Rêvant aux choses périssables...
Ont-elles donc péri ?
J'en cherche du pied nu l'empreinte sur les sables - je ne suis pas guéri.
Rimbaud le voyou fut du vivant de Benjamin Fondane et demeure après sa mort son livre le plus lu.
Dans cet essai polémique, il dénonce les tentatives de récupération du poète des Illuminations tant par les surréalistes que par des écrivains catholiques. Pour lui, si Rimbaud atteint au mythe, c'est paradoxalement parce que son oeuvre paraît trancher de tout son éclat le noeud gordien qui lie la création artistique à la vie. Conjointement à sa lecture du philosophe Léon Chestov, Fondane clans son essai en sonde_ la portée éminemment existentielle.
La thèse du " voyou " met en tension le " tempérament métaphysique " de Rimbaud, sa soif d'absolu, sa " gourmandise ", et la valeur programmatique de la " Lettre du Voyant ", qui revient selon Fondane à tricher en s'emparant " de l'Inconnu par un coup de force ".
Au départ, dans les années 1930, L'Exode est un poème dramatique à plusieurs voix qui évoque la déportation et l'exil des juifs à Babylone sous Nabuchodonosor au VIIe siècle av. J.-C. Pendant l'Occupation, Fondane a repris son poème pour y insérer le récit d'un autre exode, qu'il a vécu, celui des Parisiens fuyant la capitale devant l'avancée allemande en juin 1940. Du coup, l'histoire des juifs relue et réactualisée prenait une dimension universelle. Enfin, il a fait précéder son poème de ce grand texte prophétique qu'est la « Préface en prose »:
C'est à vous que je parle, hommes des antipodes, je parle d'homme à homme, avec le peu en moi qui demeure de l'homme, avec le peu de voix qui me reste au gosier, mon sang est sur les routes, puisse-t-il, puisse-t-il ne pas crier vengeance! L'hallali est donné, les bêtes sont traquées, laissez-moi vous parler avec ces mêmes mots que nous eûmes en partage - il reste peu d'intelligibles! Un jour viendra, c'est sûr, de la soif apaisée, nous serons au-delà du souvenir, la mort aura parachevé les travaux de la haine, je serai un bouquet d'orties sous vos pieds, - alors, eh bien, sachez que j'avais un visage comme vous. Une bouche qui priait, comme vous.
Benjamin Fondane était un sismographe, a pu écrire Maurice Roche, non pas qu'il enregistrait les secousses, mais parce qu'il les prévoyait. Ses poèmes annonçaient le désastre imminent qu'allait connaître les juifs et l'humanité tout entière. C'est particulièrement vrai du recueil Titanic, écrit en 1936, au moment où le Front populaire arrivait au pouvoir en France et où Fondane effectuait son second voyage en Argentine afin d'y tourner le film Tararira, alors qu'il espérait trouver dans ce pays une terre d'exil.
C'est un re^ve effrayant et je m'y trouve encore.
- Une chose mouvante et qu'on appelle Terre coule a` pic, lentement, hors du regard de l'e^tre...
A` ba^bord, le linge se`che comme avant le de´luge, calme le jeu d'e´checs se poursuit, un pion avance, la danse dans le hall pe´ne`tre dans les chairs avec l'odeur sucre´e des tropiques... [...].
A` cinq minutes de la fin du monde l'orchestre attaque le Tonnerre...
La Beaute´ meurt d'e´puisement sur les genoux des spectateurs e´mus par cette Nuit savoureuse entre toutes...
Un plaidoyer pour la liberté de l'esprit.
Initié par les communistes pour constituer un front intellectuel antifasciste, le Congrès international des écrivains, qui s'est tenu à Paris en juin 1935, est resté comme un événement majeur de l'histoire culturelle du XXe siècle.
En marge de ce congrès, Fondane s'inquiète au sujet de l'autonomie que doivent conserver l'art et la poésie face à une idéologie dominante. Une idéologie qui se présente comme révolutionnaire, qui est en fait contrerévolutionnaire, précise Janover.
En confrontant la position de Fondane à celles d'autres participants au Congrès (Breton, Crevel), Louis Janover montre combien elle était la plus pertinente au regard de la situation politique d'alors. Combien elle demeure éclairante dans le monde de la pensée unique qui a fait suite à l'effondrement des régimes communistes.
« Le meilleur livre de Fondane», E. M. Cioran.
Au début des Rencontres avec Léon Chestov, Benjamin Fondane évoque sa première entrevue avec le philosophe russe en 1924. Il venait d'arriver en France, avait écrit sur lui en Roumanie sans savoir s'il était toujours vivant. Fondane était poète, il n'était pas philosophe. Il l'est devenu pour défendre la cause de la poésie, toujours condamnée à se soumettre aux contraintes de la pensée rationnelle. Il l'est devenu aussi par amitié pour Chestov et, surtout, parce qu'il percevait dans sa pensée un écho à ses propres tourments, à sa propre révolte. Fondane est alors l'un des rares à comprendre la démarche du vieux philosophe, son combat contre la raison.
Au contact de Chestov, à la fin des années 1930, Fondane, le disciple inespéré, est devenu l'égal du maître et l'un des principaux représentants de la philosophie existentielle.
Le livre Rencontres avec Léon Chestov rassemble les notes prises par Fondane pendant leurs conversations ainsi que leurs correspondances, et ses propres reflexions. Il dresse un portrait extrêmement vivant de Chestov à travers des échanges sur la philosophie, mais aussi sur les faits du quotidien ou sur une actualité de jour en jour plus inquiétante.Le penseur existentiel évoque aussi ses souvenirs de la révolution russe et fait souvent peuve de beaucoup d'humour.
Évoquant tour à tour Husserl, Berdiaev, Gide, Buber, Einstein, Maritain, Malraux et beaucoup d'autres, ce livre est aussi un riche témoignage sur la vie intellectuelle des années 1930.
2016 : 150e anniversaire de la naissance de Léon Chestov.
Expostion en avril à Paris, à la Mairie du Ve arrondissement
Ulysse, figure de l'émigrant, de l'errant, incarne le destin de l'homme, du poète et du « juif naturellement et cependant Ulysse ».
Ulysse que nous publions ici est la première version du poème paru dans les Cahiers du Journal des Poètes, à Bruxelles, 1933. Cette version d'Ulysse que Fondane a maintes fois remaniée n'avait pas été publiée depuis 1933.