Eugenio Tramonti est un journaliste vaguement écrivain, amateur de chansons populaires, et plutôt irrésolu.
Alors qu'il vient juste de décider de ne plus voyager, et de ne plus rien, écrire, sauf des entretiens pour le compte de son journal (pas même des articles de fond, dit-il, " afin de ne plus se laisser tenter par le vieux démon littéraire "), son patron. Marc de Choisy Legrand, lui demande d'aller en Chine pour y faire un grand reportage. Mais ce travail est un prétexte : Choisy-Legrand veut surtout qu'Eugenio retrouve sa fille Anne-Laure, partie vivre en Chine deux ans auparavant, et, dont il est sans nouvelles depuis quelques mois.
A contrecoeur Eugenio quitte son amie Mariana, ses résolutions bafouées, et part mener l'enquête. Il rencontrera de nombreux personnages, chinois on occidentaux, qui lui seront autant de faux indices, et peu à peu s'approchera d'Anne-Laure, à l'issue d'une pérégrination labyrinthique entre Pékin et Xian. Cependant la vérité, si vérité il y a, est sans doute plus proche du point de départ que de l'arrivée.
La recherche mouvementée d'Anne-Laure ménage un suspense constant ; mais le récit se double d'une interrogation sur le désir et la possibilité - ou l'impossibilité - d'écrire encore, de nos jours, des histoires.
«C'est pourquoi, à la question, que personne ne m'a posée, De quoi Borges est-il le nom?, il m'a toujours semblé que je ne saurais répondre qu'en écrivant. Pas uniquement à propos de Borges, mais aussi dans Borges, autour de Borges, à l'intérieur de Borges, au-dessous de Borges, à côté de Borges, infiniment près et infiniment loin de Borges, en une sorte de plurifocalité simultanée semblable à celle qui, sous la dix-neuvième marche d'un d'escalier quelque part à Buenos Aires, révèle au narrateur de «L'aleph» l'indicible mystère du monde et du temps. Car oui, ce nom de Borges, pour moi, était et demeure celui du Cercle, de l'Infini et du Mystère de la Littérature - et à tout cela, tant pis pour la pompe, je mets des majuscules.» Christian Garcin.
C'est l'histoire de Thomas, que le chaos du monde effraie, et que les femmes qu'il a aimées ne sont jamais parvenues à apaiser. Un jour, assez semblable à tous les autres, il décide de partir. Il quitte alors Marie, avec qui il vit par intermittence. Mais cette fois, Thomas veut tenter de trouver un sens à ce chaos. Il lui faudra pour cela cinq pays traversés, le souvenir d'amis oubliés, la brise du soir dans ses cheveux, la présence réelle ou imaginaire d'anciennes maîtresses, un barman traducteur de poésie, quelques chansons, pas mal d'alcool, un train du nom de «Franz Kafka», un café à l'ombre de deux tours, des fantômes entr'aperçus, et des rêves de meurtres, de rats, de caïmans, d'hommes-loups, de lits défaits et de quelques figures tutélaires. Le récit polyphonique fait alterner à l'errance de Thomas avec ses propres monologues et des chapitres dans lesquels interviennent les femmes de son passé. La langue alerte, la critique acérée de notre époque donnent à ce portrait éclaté ses couleurs drôles et acides.
Je pourrais évoquer tous les gris que j'aimais et qui ont disparu, aujourd'hui remplacés par d'ineptes couleurs éclatantes, le gris du costume de mon père lorsqu'il rentrait le soir du travail après avoir garé à l'entrée de l'impasse sa Simca grise immatriculée 26 CH 13 qui souriait de sa calandre dentée, le très beau gris des soirées d'hiver devant la télé en noir et blanc où un présentateur vêtu de gris succédait au gros ours de la nuit, tous les gris des photos de cette époque, et les différentes nuances grises du goudron de l'impasse, au fond de laquelle se tenait notre maison grise très vite sombre le soir, avec à l'intérieur une chambre en L obscure et sans fenêtre que j'aimais, c'est là que j'ai grandi. Des vies, mais telles que la mémoire les invente, que notre imagination les recrée, qu'une passion les anime. Des récits subjectifs, à mille lieues de la biographie traditionnelle. L'un et l'autre : l'auteur et son héros secret, le peintre et son modèle. Entre eux, un lien intime et fort. Entre le portrait d'un autre et l'autoportrait, où placer la frontière ? Les uns et les autres : aussi bien ceux qui ont occupé avec éclat le devant de la scène que ceux qui ne sont présents que sur notre scène intérieure, personnes ou lieux, visages oubliés, noms effacés, profils perdus.
Le narrateur, Eugenio Tramonti (personnage d'un précédent roman, Le vol du pigeon voyageur) reçoit un jour la visite d'une étrange petite dame vêtue de gris, qui dit avoir quelque chose à lui apprendre au sujet de son père Alessandro, mort depuis plus de quarante ans : il serait à New York, bien vivant, mais âgé de six mois environ. Bien entendu Eugenio la prend pour une folle. Il est cependant troublé, car elle a connaissance d'élements biographiques que nul n'est censé connaître. Au bout du compte, trois ans après être parti en Chine sur les traces d'une jeune fille disparue, il se laisse convaincre de partir à nouveau, mais en sens inverse, cette fois à la recherche de son propre père.
Le récit enchaîne jeux de miroirs, mises en abyme et coïncidences extraordinaires (de ces événements qui sont, selon Claudel, la «jubilation du hasard») sans pour autant leur donner d'explication rationnelle. Des hommes se réfugient dans d'étranges terriers tant en Écosse qu'en Sibérie, une phrase de Dostoïevski peut infléchir le cours d'un voyage, et les théories de la transmigration des âmes paraissent investir l'ordre naturel des choses. Christian Garcin mêle un art consommé de la narration et un penchant pour une méditation à la fois métaphysique et ironique. Le suspense, maintenu grâce à une construction en spirale, diffère sans cesse la résolution des énigmes distillées au fil d'un récit qui intrigue, déroute, captive.
La Madonna del Parto, Marie-Madeleine, la Vierge de la Miséricorde : les trois visages témoignent d'une même vigueur hautaine et sensuelle. Les gestes, les moues, les attitudes se répondent. Il est possible que Francesca mère de Piero, disparue en 1460, ait été un modèle. Il est possible aussi que Piero n'ait jamais su que sa mère lui était un modèle. Il est même possible que toujours nous ne peignions, écrivions, composions, qu'autour des mêmes visages d'enfance, des mêmes terreurs, des mêmes émois rejetés dans les limbes de nos mémoires. Peut-être ne cessons-nous de rêver qu'une femme de ses cheveux nous frotte les pieds, une femme dont le visage serait comme le reflet d'un visage lointain. Peut-être sommes-nous à la fois l'être qui croît sous le manteau d'une vierge et les fidèles rassemblés sous ce même manteau. La vierge alors fait signe, ouvre ses bras, et nous courons nous agenouiller - car l'agenouillement est la position verticale la plus proche du blottissement, et le blottissement la seule position vivable de toute éternité.Christian Garcin.
«Ils vont sonner et sans leur demander de décliner leur identité je vais ouvrir. Ce sera très bref, je les accueillerai en leur disant que je n'ai rien à dire, que je vais mourir bientôt, qu'il n'est rien dans ma vie que je regrette, aucune action, aucune parole, et là, chacun reconnaîtra les siens, et que tout se trouve dans mes livres. Quant à ce qui ne s'y trouve pas, c'est que ça n'aura pas existé, car je suis tout entier dans mes livres, uniquement là, et que la littérature est ainsi faite que le souvenir écrit remplace peu à peu le souvenir vécu. Je leur dirai que rien n'a d'importance sauf une chose : les branches d'acacias et de poiriers, les platanes du début de printemps lorsque la pluie menaçait, ces espaces exigus qui se métamorphosaient en immenses contrées dès que nous y grimpions, et les feuillages qui dansaient sous l'effet de la brise et du vent, je leur dirai que rien aujourd'hui ne me semble avoir plus d'importance que le bruit du vent dans les arbres, que la seule chose au monde que je regretterai à l'instant où j'en terminerai avec cette comédie de la vie ce sera cela, Denver et ses amies, la brise, les branches qui s'agitent, les jeux de lumière dans les feuilles, l'approche de la pluie, et le chuchotis infini, puissant et mystérieux, du vent dans les arbres.»
«Nous taisons tous l'essentiel. Nous croyons nos vies constituées d'événements, quand ce sont les instants d'absences, les fragments oubliés, qui les forment et les nomment. Par exemple un ongle rongé, le souvenir d'un chien, la cendre d'un regard, une odeur, un cri. L'écriture, la poésie plongent leurs racines dans ces failles, dans les instants proscrits, ceux que la mémoire réfute. Dans le silence qui enrobe les êtres, inextricable, profond, difficile à déchiffrer. Qui se nourrit de l'éloignement, de l'oubli, de l'immobilisme des images. Qui prospère à notre insu.»