Les grandeurs intensives, chapitre deux est le second volume des études rédigées par Michèle Cohen-Halimi, et publiées par Claude Royet-Journoud dans la revue Anagnoste (incluse dans le Cahier Critique de Poésie du cipM). Ce volume fait suite à L'Anagnoste paru chez Éric Pesty Éditeur en 2014.
Tous les éléments contextuels de la rédaction de ces études, ainsi que leur enjeu intellectuel, le terme d'anagnoste lui-même, sont rigoureusement exposés et très clairement définis par Michèle Cohen-Halimi dans un superbe « Prologue » qui ouvre Les grandeurs intensives, chapitre deux.
Nous aimerions cependant insister, à la suite de l'auteur elle-même, sur la césure qui a eu lieu entre le premier volume (L'Anagnoste) et le second volume (Les grandeurs intensives chapitre deux), car cette césure marque une modification profonde dans l'expérience « anagnostique » - expérience ne pouvant désormais se vérifier que « depuis la disparition de toute figure chez celui ou celle qui écrit sa lecture ».
« La chute complète de la pensée dans la langue était l'opération commandée », écrit encore Michèle Cohen-Halimi, synthétisant, par cette puissante formule, son parcours de philosophe-lectrice sous l'autorité amicale et toujours extraordinairement exigeante de Claude Royet-Journoud.
C'est l'expérience vertigineuse de cette césure que donne à lire, en temps réel, la publication de Les grandeurs intensives, chapitre deux.
Extrait de la préface de Michèle Cohen-Halimi intitulée « Un test de mémoire » :
« Dispersées, peut-être disparates, ces vingt et une études ont été écrites pendant une période de neuf ans, selon une périodicité fixe, puisqu'elles étaient commandées par Claude Royet-Journoud pour sa revue semestrielle Anagnoste. Leur collection reste ici incomplète car la publication d'Anagnoste se poursuit, mais elle m'a semblé peu à peu gagner la physionomie d'un livre. Comme une variation libre fait surgir, par vue récurrente, des adhérences, des idées fixes, des obsessions, l'obsession d'une question : qu'est-ce qui (se) passe, quand nous lisons ? Le livre s'est composé, à mon insu, au rebours de cette obsession : écrire le corps de la lecture, ses états, ses mouvements, en faire la fiction de l'écriture. C'est un livre à rebours.
« Dans Ménon, Platon met en scène la reconstitution, par un esclave ignorant, d'une démonstration géométrique dont il est dit qu'elle est une anamnèse. Apprendre ne serait qu'anamnèsis. On ne saurait que pour se ressouvenir d'un savoir oublié. Aucun savoir ne se grefferait sur le corps ignorant, mais pourrait seulement se déployer depuis l'intérieur de cette ignorance, à partir d'une donation virtuelle dont le fait resterait sans pourquoi, dont le passé serait absolu, et qui lèverait par la seule possibilité qu'elle suscite le désir de savoir. De ce modèle nous pourrions faire la structure narrative du « à rebours », qui servirait à analyser la virtualité des conditions de la lecture, le corps spécifique du lecteur, son hypothèse ou son être transitionnel, puisqu'il est effet du texte, c'est-à-dire du possible qui fait reflux par sa lecture. »
Figuren s'écrit dans la continuité d'une « philosophie de la lecture » - pour reprendre le terme d'Olivier Goujat - mise en oeuvre dans Seul le renversement, essai consacré par Michèle Cohen-Halimi au premier volume de la tétralogie de Claude Royet-Journoud.
À suivre, cette fois, le mouvement spiralé d'une lecture-écriture de Théorie des prépositions jusqu'au coeur intime et silencieux du livre, Figuren découvre l'aporie d'une diction qui inclut sa propre indiciblilité dans le langage. La rémanence de cet indicible induit autant une éthique du langage qu'elle fait saillir du texte un impératif : Ce pourrait être le sens de la formule décisive concluant cet essai.
Ce livre est une plongée dans la pensée politique du grand philosophe allemand, figure fulgurante et rebelle de la philosophie, qui aura marqué le vingtième siècle de la pensée européene par sa sensibilité et exigence extrêmes. C'est le résultat d'un travail d'immersion complète dans l'oeuvre du jeune Nietzsche, que Michèle Cohen-Halimi mène ici avec la rigueur et la clarté qui caractérisent son approche de la philosophie allemande moderne, dont elle est l'une des plus lumineuses spécialistes.
L'Action à distance ambitionne de mettre en perspective le XXe siècle politique allemand à partir du XIXe siècle de Nietzsche - à partir du diagnostic relatif au totalitarisme nazi annoncé par le wagnérisme, profondément anticipé par le philosophe. Il montre la fécondité de la pensée du jeune Nietzsche, qui a poursuivi son déploiement par-delà la rupture avec Wagner, par-delà l'abandon du modèle micropolitique grec, sans jamais céder sur la relation agonistique indissoluble de la culture, de l'État et de la religion.
Comment le jeune philologue Nietzsche est-il devenu philosophe ? Peut-être fallait-il s'attarder sur son imperceptible écart au monde sécularisé et sur son désaveu de ce qu'il advenait de l'unité politique allemande, pour mieux saisir en lui les crises et le malaise par lesquels la philosophie s'est imposée à lui dans la souveraineté d'un geste antagonique.
L'opération nietzschéenne de l'antagonisme montre d'emblée la force de sa relation à ce que l'on ne voit pas encore :
La libération du devenir ordonné à une autre pensée du temps et l'horizon politique qui s'exorbite de la seule instance de l'État. Le levier du livre est la puissance sous-estimée de la négation. C'est la puissance du devenir que Nietzsche en tire : puissance plastique où se prépare l'ouverture d'un autre rapport à l'histoire et à la politique.
Étrangement l'oeuvre d'Adorno s'est trouvée en France le plus souvent compartimentée entre esthétique, sociologie, musicologie sans que son unité ne soit considérée. En redonnant toute sa place à la méditation métaphysique d'Adorno, au coeur de La Dialectique négative, et dont le philosophe de Francfort jugeait qu'elle ne pouvait pas ne pas avoir été entamée, compromise, affectée par la barbarie de la Seconde Guerre Mondiale, cet essai fait la démonstration de l'existence d'une telle unité métaphysique architectonique et circonscrit ce faisant, l'enjeu fondamental de la réception française d'Adorno.
Il est aussi invention d'une méthode d'analyse. Méthode dont la « stridence » (mot emprunté aux Voix du silence de Malraux) est le concept clef. Analyse de la bizarrerie de la réception ou de la non-réception d'un livre majeur ; et du conflit philosophique qui opposa Lyotard à Derrida, à propos d'Adorno. Quels furent les effets de turbulence, de mutation, de déplacement conceptuels, mais aussi de silence, qu'a suscité le nom du philosophe allemand à l'intérieur des oeuvres des deux philosophes français, des années 1980 à leurs morts ? Quels furent les effets d'après-coup, pour constituer le périmètre de l'échange conflictuel en une « conjoncture doctrinale » ?
Ce suivi des transformations conceptuelles définit la stridence, et implique une nouvelle manière d'écrire l'histoire de la philosophie qui étudie les auteurs à partir d'un conflit qui s'est prolongé souterrainement dans les livres pour hanter et changer les pensées.
Enfin, cet essai montre tant par son propos que par sa méthode, comment l'histoire de l'extermination des Juifs d'Europe a peu à peu gagné le champ philosophique français, au prix d'une mésinterprétation de la pensée d'Adorno, déplacée du fait de Lyotard vers le champ esthétique pour y nourrir un interdit de représentation de la Shoah, source de nombreux conflits contemporains. Or ce qu'Adorno définissait comme l'innommable n'était pas réductible à l'irreprésentable. Par contrecoup, voici produite une généalogie du conflit relatif à la représentation de l'extermination, qui déchire aujourd'hui encore nos contemporains (Didi-Huberman, Lanzmann, Rancière, etc.).
Kant présente sa fondation de la moralité comme une simple formulation : renouant avec la dimension opérante de son discours, il s'agit ici d'étudier la démarche kantienne dans son aspect stratégique et langagier.
Stratégique, puisque le philosophe critique déjoue les préventions communes contre la métaphysique, tire parti de l'intérêt généralisé de son temps pour les questions morales, passe au crible la signification des concepts pratiques et restaure la force rhétorique de la langue pour favoriser l'écoute du commandement moral. Langagier, car la fondation kantienne d'une métaphysique des moeurs, qui procède d'une critique tout aussi radicale de la Schulmetaphysik, recèle une conception originale de la fonction signitive de l'imagination dans le champ pratique : l'imposition de la loi morale et son écoute conduisent le discours kantien hors de la représentation.
Réinscrite sur le sol de l'Aufklärung, la philosophie critique se libère des lectures anhistoriques et partisanes, dévoile une manière très singulière d'inventer des concepts et d'agir par cette invention même.
Le concept de stridence (emprunté aux Voix du silence de Malraux) sert à définir une nouvelle méthode d'écriture de l'histoire de la philosophie. Cette méthode part d'un constat négatif : les historiens de la philosophie restent trop souvent débiteurs de ce dont ils prétendent s'émanciper, les motivations individuelles des auteurs, les accidents biographiques et toutes les figures subjectives et contingentes d'une prétendue autonomie de la pensée. Il s'agira par contraste de s'émanciper résolument des concepts malheureux d'intention et de rationalité autonome. La méthode de la stridence se donne pour point focal un conflit doctrinal entre deux philosophes, conflit dont elle s'assure qu'il a eu des effets d'après-coup. Cette méthode ambitionne de reconstruire une rationalité a-subjective et événementielle de l'histoire philosophique.
Nihilisme, sorte de signifiant flottant, a une histoire mal connue dont ce livre restitue les méandres.
Elle commence pendant la révolution française, et son premier locuteur est anacharsis cloots, député allemand à la convention, qui finira guillotiné après avoir déclaré que " la république des droits de l'homme n'est ni théiste ni athée : elle est nihiliste ". elle se poursuit autour de 1800, avec la querelle entre fichte et l'étrange jacobi, qui choisit le vocable " nihilisme " pour confondre l'athéisme et pour dénoncer kant, à travers fichte et ses amis.
On retrouvera plus tard le nihilisme dans le milieu cosmopolite des révolutionnaires russes : chez bakounine, puis chez dostoïevski, qui invente par le roman la scène métaphysique de la tragédie du nihilisme. étape ultime et décisive du nihilisme au xixe siècle : nietzsche, qui va " séparer les fils, dénouer les affinités truquées, analyser la composition de l'explosif pour dissocier différentes formes du nihilisme ".
Après ce parcours tracé par michèle cohen-halimi, la deuxième partie du livre, due à jean-pierre faye, est consacrée à l'utilisation du nihilisme par heidegger. méthodiquement, faye démonte les contradictions, les références fautives à nietzsche, les " mises en faux " qui servent à heidegger à sa propre justification et à celle d'un nihilisme d'état. un parcours inattendu sur une ligne brisée à travers l'europe, l'éclaircissement d'un mot à la fois fascinant et maléfique.
Heidegger est-il nazi ? Une question qui a remué et ému le Landerneau philosophique français durant l'automne 2014.
Les heideggériens-sachant et les heideggériens-ne-sachant-pas sont-ils, en adhérant aux théories du philosophe de Fribourg, nazis ou, par cette adhésion, colportent-ils, en porteurs sains, les mythes menant les gens à adopter les thèses nazies ?
Dans le même temps paraissait un ouvrage, La Loi du sang (J. Chapoutot), sur les faits et gestes des Allemands où il est démontré que le nazisme s'instille dans les esprits par des toutpetits- riens, des petits faits et gestes...
Le doute s'installa, fallait-il renier des années de travail, de révérence, et devenir rien ? Un pan de la philosophie française disparaissant en cas de démonstration positive - la Vérité (laquelle ?) étant la tâche de la philosophie.
Vint un Zorro philosophique, le responsable de la publication des « Cahiers noirs », source de l'opprobre (Journal de pensée - volumes publiés, pour l'heure en Allemagne, à l'automne 2015, Gallimard), qui, dans le cadre de son travail pour la publication des oeuvres intégrales telles que Martin Heidegger l'a décidé, découvre des propos propres à révulser et le vulgum pecus et le bon philosophe. La révélation risque de faire capoter la pensée de l'homme des forêts, alors M. Peter Trawny se livre à une opération (usant du dispositif de la « lettre volée »), il obère le sentimental qui se manifestera immanquablement dans l'humain trop humain de l'Homme et transforme l'antisémitisme humain en antisémitisme théorique, métamorphosant le « salaud » en penseur, la notion de responsabilité concrète mutée en idéologie, propulsant en concept l'acte historique. Dans l'abstraction du concept les coupables n'existent pas, donc plus de victimes, donc la Shoah n'est plus qu'une victimisation. Rien de réel ne concerne l'antisémitisme « historial » (mode abstrait de l'histoire où l'on se débarrasse des contingences) du philosophe Heidegger là où l'homme Heidegger réel était un antisémite avéré - se prolongeant dans les proclamations actuelles de sa progéniture qui reprend l'argument trawnien.
Ouf ! la philosophie, par cette coupure épistémologique, est sauvée.
Nos auteurs débusquent la supercherie philosophique du véridisme heideggérien. Günther Anders dénonça la pseudo-concrétude de Heidegger, « concrétude » aujourd'hui relookée, par Peter Trawny, en vérité historiale-Heidegger dressée en étendard contre la réalité de l'homme Martin H.
Ainsi, Peter Trawny a connu l'instant warholien par ce tour de prestidigitateur digne d'une vedette du show-biz, pour sauver le Grand et Unique marché français heideggérien. Dormons tranquilles, le courtier de la famille Heidegger veille sur tout et sur la Philosophie en particulier.
À voir, donc !
"Commentateur aussi atypique que profond des oeuvres de Kant, Hegel et Nietzsche auxquelles il a consacré trois livres, Kant et la fin de la métaphysique (1970), La Patience du concept (1972) et L'Envers de la dialectique (2004), Gérard Lebrun gagne, peu à peu, une actualité grandissante, qui réside dans une entière occupation du temps.
Après avoir reconsidéré le fameux problème de la « fin de la métaphysique » selon une perspective kantienne, et pour être resté lecteur de Hegel, mais aussi de Hegel et de Nietzsche, quand presque toute la philosophie française des années 60 et 70 désertait la dialectique spéculative en laissant pour toute alternative Hegel ou Nietzsche, Gérard Lebrun a résisté, par le passé, aux passions de son temps.
Il livre, au présent, une leçon fondamentale, de l'ordre de la perspective du texte. Sa lecture est sans marges, elle ne s'interrompt pas, elle ouvre sur une lisibilité des oeuvres philosophiques indissociable de la maturation des problèmes et de la langue de cette maturation. Cette manière de lire compose toujours en même temps un non-lieu où est le livre (puisqu'il n'est ni un passé, ni un présent, et ni l'un ni l'autre), c'est-à-dire le lieu atopique et scripturaire d'une mémoire où ne cesse de se totaliser l'innombrable des lectures - une lisibilité pour esprit libre. "
" Ma chère Lou, Votre idée de ramener les systèmes philosophiques aux actes personnels de leurs auteurs est vraiment l'idée d'une «âme soeur« " (Friedrich Nietzsche, lettre du 16 septembre 1882).
Nietzsche rencontre Lou von Salomé à Rome, en avril 1882. Le philosophe aussitôt séduit demande la jeune femme en mariage, en vain. En mai, se décide avec Paul Rée un voyage à trois sur les rives du lac d'Orta. Après être rentré pour travailler à l'achèvement du Gai savoir, Nietzsche invite Lou à venir le rejoindre, en aoùt, dans le presbytère de Tautenburg. Lou accepte. Elle séjourne à Tautenburg du 7 au 26 aoùt et devient la disciple de Nietzsche. Il lui confie sa pensée la plus réservée, celle de l'éternel retour, apparue en 1881 sous le premier titre de "Midi et éternité. Prijet d'une nouvelle vie." Le 26 aoùut paraît Le gai savoir en même temps que Lou, qu'il ne reverra plus qu'une dernière fois à l'automne 1882, plonge Nietzsche dans un désespoir qui atteint et commotionne la pensée de l'éternel retour : " Je ne veux pas que ma vie recommence. " Cet ébranlement terrible porte un vouloir tourné contre le paasé, nourrit une vengeance contre le temps, qui contrarie l'amor fati. Se libérer de cette vengeance devient l'épreuve ultime dans l'accomplissement de la pensée la plus secrète. Nietzsche s'arrache à lui-même la nécessité d'aimer sa nécessité : une nouvelle justification de la vie contresigne la révolution nietzschéenne sous la figure de Zarathoustra.
La collection est dirigée par Yves-Charles Zarka, directeur de recherches au CNRS. Il dirige le Centre d'histoire de la philosophie moderne - Centre Thomas Hobbes. Elle a un double objectif : -- réouvrir le débat sur les questions majeures de la philosophie, celles qui ne cessent d'alimenter la pensée, en vue d'éclairer leurs enjeux par des contributions inédites dues aux meilleurs spécialistes - mettre à la disposition des étudiants, des enseignants et plus généralement de tous ceux qui s'intéressent à la philosophie, des dossiers permettant de se faire une idée claire de l'état actuel des connaissances sur un sujet.
Rendre des travaux philosophiques de pointe, accessibles à un large public universitaire et extra-universitaire, tel est le pari de cette collection. (Autres collections : Fondements de la politique - Intervention philosophique) Revue Cités. Philosophie, Politique, Histoire, dirigée par Yves Charles Zarka. Publication trimestrielle