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sahar khalifa
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Dans la chaleur moite d'un pays blessé à vif, en Cisjordanie occupée, soldats et jeunes Palestiniens s'affrontent à combat ouvert dans les rues. Les femmes, dans la pénombre des maisons embaumées de jasmin et de myrte, s'attardent devant le narguilé. Une nuit, le couvre-feu contraint Samar, universitaire de vingt-six ans, à se réfugier chez Nouzha dont la mère a été assassinée par les combattants palestiniens parce qu'elle était accusée de collaborer avec les Israéliens.
Mais la jeune fille n'est pas seule : elle a recueilli Houssam, un résistant du quartier, grièvement blessé. Tandis que résonnent au-dehors les cris des enfants et le tapage des soldats, les femmes, au fil de la nuit, s'ouvrent aux confidences, dévoilant leurs craintes. Bientôt se joignent au trio, Sitt Zakia, la sage-femme du quartier, et Oum Azzam, désireuse d'échapper à la violence de son mari. Comment pourront-elles fuir l'impasse et rejoindre leur famille sans être dénoncées ? À travers le destin de ces quatre protagonistes, c'est la difficile condition de femme palestinienne dont nous parle Sahar Khalifa dans un récit saisissant de réalisme.
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C'est, dans la partie arabe d'Israël, la vie de tous les jours qui nous est décrite ici, faite de déchirements et de drames, de craintes renouvelées et d'espoirs déçus, de résignation patiente mais aussi de violences infligées ou subies. Si les hommes, tels Bassel al-Karmi, révolutionnaire sorti de prison, et son frère Adel, journaliste, cherchent à atteindre par des voies différentes le même but, l'indépendance et la paix, la condition des femmes nous est montrée dans sa plus grande complexité, incarnée par la jeune Rafif, amoureuse d'Adel, collaboratrice à la même revue, et qui ne peut supporter d'être traitée en quantité négligeable par les hommes dont elle partage les risques. À cette figure typique de notre époque fait pendant celle de Saadieh, la paysanne, qui a tout perdu en perdant son mari et qui, travaillant pour élever ses nombreux enfants, est en butte aux sarcasmes et aux calomnies de ses voisines. Saadieh n'a qu'une idée en tête : gagner assez d'argent pour acheter un terrain dans la montagne et y construire une petite maison. Et c'est là que nous nous trouvons soudain confrontés aux brutalités des occupants qui, à coups de bulldozer, dépouillent et chassent les paysans, méprisent la loi et font régner le droit du plus fort. «Les choses n'ont pas qu'un seul aspect», dit l'un des personnages. Aussi le mérite de ce livre est-il de nous montrer les malheurs des paysans, le désarroi des intellectuels, la cruauté du fait accompli qui n'apporte aucune solution durable, le conflit entre les moeurs traditionnelles et la pensée moderne avec une profonde sensibilité et une lucidité toujours en éveil.
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L'histoire se passe dans les Territoires occupés, principalement à Ramallah et à Naplouse, quelques années avant la seconde Intifada, puis pendant le siège du quartier général d'Arafat à Ramallah.
Deux frères, dont la vie sera terriblement gâchée par les événements, sont au centre de ce roman. Le cadet, Ahmad, timide et sensible, passionné de dessin, bon élève admiré de ses professeurs qui lui prédisent un brillant avenir malgré son bégaiement, fera plusieurs années de prison pour s'être lié d'amitié avec une petite fille de la colonie juive voisine du camp de réfugiés où il vit. Maguid, l'aîné, étudiant à l'université de Bîr Zeit, dilettante, musicien, rêve de devenir un chanteur célèbre. À cause de ses relations avec une riche famille palestinienne proche des cercles du pouvoir, il est soupçonné du meurtre du chef de cette famille et passe à la clandestinité. Lorsqu'éclate la seconde Intifada, Ahmad, traumatisé par ses années de prison, s'engage comme volontaire pour ramasser les blessés dans les rues. Maguid, pour des raisons d'ambitions personnelles, devient un des gardes du corps d'Arafat, et se fait complice de la corruption et de la décadence de l'Autorité palestinienne.
Ce qui intéresse l'auteur, ce n'est pas la grande Histoire, mais plutôt les répercussions humaines du conflit, générateur de drames humains et exacerbant les situations les plus ordinaires pour les transformer en tragédies. La trajectoire de chacun des frères leur fait croiser une multitude de figures de toutes les générations, permettant à Sahar Khalifa de brosser une peinture extrêmement sensible de la société palestinienne. C'est notamment l'occasion de très beaux portraits de femmes. Même s'il y a une dénonciation de l'oppression israélienne responsable de tout ce gâchis, c'est loin d'être un livre manichéen - les travers de certains Palestiniens (ambition dévorante, collaboration ou recours à la violence aveugle) ne sont pas occultés - mais plutôt un livre humaniste, tantôt désenchanté, tantôt plein d'espoir.
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«Voici le récit d'une romancière arabe, écrit en Palestine occupée, publié en arabe par un éditeur israélien, à Jérusalem. Sahar Khalifa décrit la vie quotidienne de ces Arabes des territoires occupés par Israël, ces silencieux du malheur que tout le monde essaie d'utiliser à ses fins. Ce ne sont pas des héros, ni des militants. Ils sont occupés, torturés, bafoués, injuriés, méprisés. Et un jour ils meurent. C'est tout. Ils ont eu le temps, auparavant, de prendre dans leurs bras une petite fille israélienne dont le père, officier de l'armée d'occupation, vient d'être abattu par un résistant. Eux ne résistent pas, ils vont travailler dans les usines d'Israël pour survivre.» Bulletin Gallimard, mai-juin-juil. 1978.)
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