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willy pelletier
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La haine des fonctionnaires
Julie Gervais, Claire Lemercier, Willy Pelletier
- Amsterdam
- 6 Septembre 2024
- 9782354802943
Pourquoi si peu d'insultes envers les actionnaires, les employeurs ou les pollueurs, et autant contre celles et ceux qui servent le public en toute égalité ? Fonctionnaires = feignasses = pas rentables = emmerdeurs = protégés = profiteurs = archaïques = inutiles = à compresser ! D'où vient l'incroyable puissance d'évidence d'une telle équation ? Et qui sert-elle ? Pourquoi certains (hauts) fonctionnaires sont-ils parmi ceux qui la répètent le plus ? Ce livre, à l'écriture vive, fournit des arguments en partant d'idées reçues (non, sous-traiter au privé ne fait pas faire d'économies) et de scènes de la vie quotidienne : l'attente interminable, la dématérialisation incompréhensible, le fonctionnaire « laxiste » ou « borné », etc. Appuyé sur de nombreuses recherches, il leur oppose le dévoilement de réalité vécue par des agents de ménage, ouvriers des voieries, secrétaires de mairies, des psychiatres, des gardiens de prison, et les autres. Pour en faire des outils de lutte pour la défense des services publics. Il s'adresse aux fonctionnaires moqués en manque de réplique, aux militants syndicaux et associatifs qui oeuvrent à les défendre, aux étudiants qui veulent comprendre comment le dénigrement des fonctionnaires sert la détérioration des services publics, aux usagers qui souffrent de leur disparition et, plus largement, à tous celles et ceux qui, fatigués d'être montés contre leurs alliés et leurs semblables, veulent ne plus se tromper de cibles et porter la riposte.
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La valeur du service public
Julie Gervais, Claire Lemercier, Willy Pelletier
- La découverte
- 14 Octobre 2021
- 9782348068553
Des décennies de casse sans relâche : les dernières crises sanitaire et économique en montrent l'ampleur et les dangers. Mais qui veut la peau du service public ? Pourquoi, et au détriment de qui ?
Qui sont les commanditaires et les exécuteurs du massacre en cours au nom de la modernisation ? Quels sont leurs certitudes, leur langage, leurs bonheurs et leurs tourments ? Comment s'en tirent les agents du service public quand leurs métiers deviennent missions impossibles ? Comment s'en sortent les usagers quand l'hôpital est managérialisé, quand les transports publics sont dégradés ?
Ce livre raconte les services publics : ceux qui ont fait vivre des villages et ceux qui ont enrichi des entreprises, les guichets où on dit « non » et ceux qui donnent accès à des droits. Il combat les fausses évidences qui dévalorisent pour mieux détruire - les fonctionnaires trop nombreux, privilégiés, paresseux. Il mène l'enquête pour dévoiler les motifs des crimes et leurs modes opératoires, des projets de réforme à leurs applications.
On entre dans les Ehpad, aux côtés des résidents et du personnel soignant, on pousse la porte des urgences, on se glisse dans les files d'attente de la CAF ; on s'aventure dans les grandes écoles, on s'infiltre dans les clubs des élites, au gré de récits et d'images qui présentent les recherches universitaires les plus récentes.
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Pourquoi tant de votes RN dans les classes populaires
Gérard Mauger, Willy Pelletier
- Croquant
- 23 Mai 2023
- 9782365123891
Ce livre est une version actualisée, augmentée et remaniée, de l'ouvrage publié en 2016 aux éditions du Croquant1. Cette initiative était une conséquence de l'inquiétude suscitée par l'ascension du Front National (FN), non seulement chez les militants et les intellectuels « de gauche », mais aussi chez les chercheurs en sciences sociales. Les résultats des élections présidentielles et législatives de 2022 n'ont fait que la renforcer : d'où cette réédition actualisée et complétée par de nouvelles enquêtes. Mais cette nouvelle version ne vise pas tant (en tout cas pas seulement) à alerter qu'à tenter de rendre compte sociologiquement de l'essor du RN (Rassemblement National) avec la conviction qu'une meilleure connaissance du phénomène peut aider à en déjouer les mécanismes.
Une ascension inexorable ?
Rompant avec une « neutralité axiologique » souvent revendiquée, mais sans doute plus stratégiquement « opportune » qu'épistémologiquement fondée2, cette inquiétude doit évidemment quelque chose à la progression électorale du FN. Elle peut, en effet, sembler inexorable depuis le début des années 1980. Lors des élections législatives de mai 1981 consécutives à l'élection de François Mitterrand à la présidence de la République, le score du FN était encore, en effet, celui d'un groupuscule : 0,18 %. Mais, aux élections régionales de 2015, le FN obtenait 6,8 millions de voix au second tour, soit 30 % des suffrages et arrivait en tête au premier tour dans la moitié des régions et dans plus de la moitié des communes. En 2017, Emmanuel Macron obtenait deux fois plus de votes que Marine Le Pen. En 2022, l'écart s'est réduit à 16% des votants. Au deuxième tour des élections législatives de 2022, le RN obtenait, à la surprise générale, 89 députés, trois fois plus qu'en 1986, un véritable « tsunami » selon Jordan Bardella, alors président par intérim du RN. Il consolidait, en effet, son implantation dans l'ancienne France industrielle du Nord et du Nord-Est et dans la France du Sud-Est jusqu'aux Pyrénées orientales et il étendait son ancrage territorial. Avec ses 89 députés crédités d'une « image rassurante » (56 hommes, 33 femmes, 46 ans en moyenne, 42 titulaires de mandats électifs, 44 cadres et professions intellectuelles supérieures) et deux vice-présidences à l'Assemblée nationale, le RN, qui refuse désormais d'être classé « à l'extrême-droite », accélère sa « normalisation » et consolide sa « respectabilité »3.
Un parti d'extrême-droite ?
L'inquiétude suscitée par cette ascension est inséparable de l'hystérésis d'une représentation du FN. En mai 1981, son label « d'extrême droite » n'était guère discutable. Le FN de Jean-Marie Le Pen, antisémite, sinon négationniste, raciste et hostile à la démocratie, se recrutait chez d'anciens pétainistes, miliciens retraités, collaborateurs et vétérans de la Légion des Volontaires Français, chez des anciens de l'OAS et leurs sympathisants, chez des catholiques traditionnalistes4. L'inquiétude persistante suppose donc que le RN d'aujourd'hui n'est au fond pas très différent du FN d'hier. Mais cette pérennité de la représentation pose le problème de la « normalisation » du FN. Outre que l'actuelle direction du RN a travaillé à sa « dédiabolisation », les partis de droite « classique » (l'UMP puis LR), en reprenant à leur compte des thèmes de prédilection du FN comme « l'immigration », « l'assistanat » ou « l'insécurité », ont objectivement contribué à leur « banalisation » et, ce faisant, à celle du RN. Par ailleurs, la campagne d'Éric Zemmour pour les élections présidentielles de 2022 a contribué à la « dédiabolisation » du RN en permettant son « recentrage »5. Mais, à l'inverse, les « partis de gouvernement » (du Parti Socialiste - PS - à La République En Marche - LREM), dont « l'épouvantail Le Pen » est devenu l'ultime argument électoral (« faire barrage au RN »), soulignent, non sans quelques arguments, la continuité entre le RN et le groupuscule d'extrême-droite des années 19706.
La question du classement politique du RN se pose d'autant plus que l'invention d'un nouveau label politique - le « populisme » - plus proche, selon Annie Collovald, d'une nouvelle « insulte politique » ou d'une « injure polie »7 que d'un concept, permet d'assimiler La France Insoumise (LFI) au RN et de disqualifier LFI par « contagion » (« le danger populiste »). En fait, Daniel Gaxie montre que le programme du RN est caractérisé par ses ambiguïtés, sinon ses incohérences8. Ils constituent autant d'atouts pour un « catch large party » où peuvent se reconnaître à la fois des militants d'extrême-droite (« faute de mieux »), des catholiques traditionnalistes (« pour défendre la famille »), des « rapatriés d'Algérie » (« pour endiguer l'immigration »), des professionnels du maintien de l'ordre (« pour lutter contre la délinquance »), des indépendants de toutes sortes (« contre la fiscalité et les charges ») et diverses fractions des classes populaires (« des fâchés pas fachos », dont on s'efforcera ici d'élucider « les raisons »). Dans cette perspective, il faudrait prolonger l'enquête en analysant le RN comme « un champ » (où s'affrontent diverses tendances), lui-même pris dans un « champ politique » où chaque parti doit se démarquer de ses concurrents pour conquérir « le monopole de l'usage légitime des ressources politiques objectivées (droit, finances publiques, armée, police, justice, etc.) »9. À l'issue des élections de 2022, le RN est l'un des quatre pôles d'un champ politique structuré par quatre blocs à peu près équivalents : en substance et dans l'ordre, celui d'Emmanuel Macron, celui de l'abstention, celui de Marine le Pen et celui de Jean-Luc Mélenchon10. Le RN y apparaît, selon Daniel Gaxie, comme « un parti marginal, reconnu et stigmatisé » ou « un parti marginal ascendant »11. Mais l'abstention reste le premier « parti » de France12, obérant, scrutin après scrutin, la légitimité des élus. En dépit des appels de la NUPES (Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale), 67 % des ouvriers et 64 % de ceux dont le revenu mensuel est inférieur à 1250 euros se sont abstenus (IPSOS). La Nouvelle Union Populaire Écologique et Sociale (NUPES) cumule 142 députés, ébauchant ainsi la renaissance d'une « gauche de gauche » dans l'espace politique laissé vacant par la décomposition de « la gauche PS-PC », mais sans pour autant reconquérir l'adhésion des classes populaires13 à l'exception des banlieues des grandes villes. Au deuxième tour des élections législatives, la remobilisation espérée des abstentionnistes n'a pas eu lieu, l'abstention - 53,77 % - a même progressé par rapport au premier tour14.
Un parti populaire ?
Le désarroi provoqué par la progression électorale du RN est également lié aux questions que posent à la fois cette extension de l'abstentionnisme des classes populaires et celle des votes populaires en faveur du RN.
Jusqu'à une date récente, l'abstention était restée un phénomène relativement secondaire (autour de 20 % des inscrits) et, de ce fait, peu étudié. En avril 1848, alors que la population était encore pour moitié analphabète, la participation à l'élection de l'Assemblée constituante (au suffrage universel masculin) atteignait 83,6 % des inscrits. Et lors des élections de mai 1936, où le Front populaire l'avait emporté, le taux d'abstention était l'un des plus faibles de toute l'histoire des élections législatives : 15,6 %. De nouveaux records de participation sont atteints au cours des années 1970 où la gauche dispute le pouvoir à la droite : l'élection présidentielle de 1974 où s'affrontent François Mitterrand et Valéry Giscard d'Estaing mobilise près de 9 électeurs sur dix (87,3 %) et, lors du second tour des élections législatives de 1978, 84,9 % des électeurs inscrits se rendent aux urnes. Mais, à partir de la deuxième moitié des années 1980, l'abstention s'envole : au deuxième tour des élections législatives de 2007, près de quatre inscrits sur dix s'abstiennent. Aux élections européennes de 2014, on compte 56 % d'abstentions, 50 % aux élections régionales et départementales de 2015, 25 % d'abstentions au deuxième tour de l'élection présidentielle de 2017, 52 % d'abstentions au premier tour des élections législatives de 2017. Ce désintérêt voire cette aversion à l'égard de la vie politique15 revêtent différentes formes : non-inscription, mal inscription, abstention, inégalités croissantes de politisation, votes sans conviction, etc.16 De sorte qu'une « démocratie de l'abstention »17 semble s'être mise en place où c'est l'inégale distribution du vote et de la non-inscription (massivement populaires) qui met en évidence la persistance des clivages de classe18.
Comment rendre compte, par ailleurs, de l'essor du vote RN dans les anciens bastions ouvriers du Nord et de l'Est désindustrialisés ou dans « le Midi rouge »Â ? Si nul ne s'étonne de voir un petit commerçant (supposé « naturellement poujadiste ») ou un bourgeois catholique traditionnaliste voter FN, le vote populaire en faveur du RN interpelle à la fois « ceux pour qui le peuple est une cause à défendre »19, ceux qui tendent à « accorder au peuple la connaissance infuse de la politique »20 et, plus encore, sans doute, ceux qui persistent à croire à la vision messianiste de la « classe ouvrière ». Le vote populaire en faveur du RN les confronte à un paradoxe du même genre que celui qu'a étudié Thomas Frank aux États-Unis : Pourquoi les pauvres votent à droite ?21. La déconvenue et la perplexité sont d'autant plus grandes que ce vote populaire en faveur du RN semble valider le point de vue de « ceux pour qui le peuple est un problème à résoudre »22 et consolider le « racisme de classe » de ceux qui assimilent les ressortissants des classes populaires à des « beaufs » machistes et homophobes, racistes et xénophobes, etc.23 La controverse suscitée par le vote populaire en faveur du RN réactive l'alternative classique entre « misérabilisme » et « populisme »24, deux formes de l'ethnocentrisme des classes dominantes25. Seule l'enquête peut dénouer ce genre de controverse en tentant à la fois de cerner l'ampleur, la distribution et l'évolution du vote populaire en faveur du RN, d'en comprendre « les raisons » socialement diversifiées et d'en élucider « les causes », c'est-à-dire de rendre compte de l'ancrage - socialement différencié - de ces diverses « raisons » de voter FN.
Objectiver le vote populaire en faveur du RN Mais comment cerner l'ampleur, la distribution et l'évolution du vote populaire en faveur du RN ? Toute tentative de mesure est confrontée à la difficulté d'étudier les rapports entre deux entités mal définies. Dans la mesure, d'une part, où le RN est un « parti attrape-tout », cerner « ce qu'est le RN » au regard de ceux qui votent en sa faveur - « un conglomérat » plutôt qu'un « électorat »26 - est un objet d'enquête. La question renvoie ainsi à l'inventaire des « raisons » de voter RN. Dans la mesure, d'autre part, où « le populaire » n'est plus ce qu'il était encore dans les années 1970, délimiter les contours des classes populaires dans la société française contemporaine rencontre également de nombreuses difficultés27. « La classe ouvrière » a subi une véritable éclipse consécutive à la fois à la désindustrialisation massive, à l'affaiblissement intellectuel et politique du marxisme, à l'effondrement du socialisme « réellement existant », à la débâcle électorale du PCF (« le parti de la classe ouvrière ») et au déclin de la CGT28. Mais si la vision d'un espace social divisé en classes antagonistes s'est progressivement défaite, on peut, néanmoins, mettre en évidence des critères qui justifient le regroupement des ouvriers et des employées au sein des « classes populaires ». Ce label démarque le groupe ainsi constitué des autres groupes sociaux : petitesse du statut professionnel ou social, étroitesse des ressources économiques, éloignement par rapport au capital culturel29.  Certes, ces classes populaires ne sont pas ce que la classe ouvrière n'a jamais été ailleurs que dans l'imagination des intellectuels. Mais, ouvriers et employées (il s'agit de femmes pour 80 % de l'effectif) représentent plus de la moitié de la population active. Relativement cohérentes, ces classes populaires sont néanmoins traversées par de nombreux clivages à commencer par celui entre « established » et « outsiders »30 que creusent l'effritement de la condition salariale, l'extension du chômage de masse, de la précarisation et de l'insécurité sociale qui en résultent31. Force est alors de supposer que les différentes composantes des classes populaires n'ont ni les mêmes raisons de s'abstenir, ni les mêmes représentations du RN, ni les mêmes raisons de voter en sa faveur.
Ainsi peut-on comprendre le caractère rudimentaire de données statistiques fondées sur la distinction entre « CSP + » et « CSP - » ou, dans le meilleur des cas, celle entre ouvriers et employées, pour tenter d'objectiver le vote populaire en faveur du RN. En l'état des données disponibles, Patrick Lehingue avait montré en 2016, que, même si les votes d'ouvriers et employées représentaient plus de la moitié des suffrages obtenus par le FN, ce vote FN ne concernait qu'un ouvrier sur sept et que c'était l'abstention - et de très loin - qui était alors le « premier parti ouvrier »32. Outre le progrès spectaculaire du RN aux élections présidentielles, les élections de 2022 montrent que le vote populaire exprimé en faveur du RN se situe entre un peu moins d'un tiers et un peu plus d'un quart des votants de la catégorie et mettent en évidence un ancrage du RN dans les fractions les plus démunies (scolairement et économiquement) des classes populaires33. Quant aux « raisons » de voter RN dans les classes populaires (sans grande compétence ni intérêt politique), on peut supposer que le RN est parvenu à inculquer, outre l'hostilité à des partis politiques interchangeables (« l'UMPS »), une vision du monde qui oppose les « nationaux » aux « étrangers ». Ce clivage « ethno-racial » occulte ainsi les divisions internes au groupe national (la lutte de classes) et fait de « l'immigration » la source de tous les maux (le chômage, la délinquance, le terrorisme) et des immigrés, de « mauvais pauvres » associés à la délinquance et à l'assistance.
« Ce que voter RN veut dire » Pour tenter de cerner plus précisément « ce que voter RN veut dire » dans les classes populaires, il faut rompre d'abord avec la convention du sens commun savant qui voudrait que le vote exprime le « choix » d'un programme et de représentants politiques et que, de ce fait, les électeurs pensent ce que pensent leurs représentants qui, eux-mêmes, expriment leur point de vue. L'enquête montre, en effet, que la connaissance des programmes, du personnel et des idées politiques est très inégalement distribuée : y compris chez ceux qui participent aux élections. Plus spécifiquement, l'abstention pose le problème des conditions sociales de possibilité d'une « opinion politique », c'est-à-dire de la compétence sociale et technique que suppose la participation à la vie politique34 : ainsi met-on en évidence une « logique censitaire » de fait35. De façon générale, l'enquête montre non seulement l'inégale distribution de la participation électorale et des compétences politiques, mais aussi celle de « l'intérêt » pour la politique36. Plus précisément, elle établit la relation très étroite entre le capital scolaire et les chances d'avoir une opinion. En fait, la propension à prendre la parole est proportionnelle au sentiment d'avoir droit à la parole37 : elle suppose à la fois une « compétence technique », c'est-à-dire à la capacité de comprendre le discours politique, mais aussi une « compétence sociale », c'est-à-dire le sentiment d'être statutairement fondé à s'occuper de politique. En outre, la professionnalisation du métier politique - maîtrise d'un corpus de savoirs spécialisés et d'un lexique (qui emprunte de plus en plus souvent à la « science » économique) et d'une rhétorique spécifiques - implique une dépossession politique croissante des classes populaires. C'est dire qu'on ne peut pas déduire, par exemple, du vote RN d'un cariste ou d'une femme de ménage leur adhésion au programme du RN. Si ces votes RN n'ont évidemment pas « rien à voir avec le RN », il faut tenter de cerner leurs représentations du vote RN dont le degré de conformité au programme du RN peut être très approximatif : que veut dire celui ou celle qui vote RN ? L'enquête met en évidence la grande dispersion sociale et la volatilité des votes FN : celles et ceux qui votent FN ne constituent pas un « électorat » mais, selon l'expression de Daniel Gaxie, « un conglomérat »38. Contre le racisme de classe et l'ethnocentrisme populiste, ce livre rassemble pour l'essentiel des enquêtes qui, dans différents registres, tentent d'élucider les « raisons » et les causes des votes RN au sein des classes populaires.
Ordre d'exposition Dans la première partie, Patrick Lehingue met en évidence deux ou trois « idées reçues »Â sur l'électorat du Front National, Daniel Gaxie souligne les contradictions de sa « résistible ascension » du FN. Julian Mischi montre ce que l'essor du FN doit à « la décomposition de la gauche ».
La deuxième partie aborde la question très controversée de la géographie du vote FN, opposant métropoles et périphéries, à travers deux enquêtes ethnographiques : celle d'Emmanuel Pierru et Sébastien Vignon s'intéresse aux territoires ruraux, celle de Violaine Girard aux zones périurbaines. L'enquête menée par le collectif « Focale » met en évidence les effets à long terme des héritages politiques de gauche et des sociabilités syndicales : longtemps après, ils font toujours obstacle au vote FN.
La troisième partie, la plus développée, est consacrée aux « raisons » des votes FN des classes populaires. Stéphane Beaud et Michel Pialoux, mettent d'abord en évidence les effets de « l'exacerbation des luttes de concurrence » au sein des classes populaires. Louis Pinto montre comment la promotion d'un « nouvel ordre moral » assure une cohérence implicite du « conglomérat RN ». Stéphane Beaud et Michel Pialoux étudient ensuite le cas d'un couple d'ouvriers confronté aux « désordres du quartier ». Gérard Mauger montre ce que le vote FN peut devoir au « souci de respectabilité » dans la situation de procès où sont prises les fractions « établies » et « marginales » des classes populaires. Romain Pudal, tente d'élucider « l'attrait » qu'exerce le FN sur les sapeurs-pompiers. Enfin, Lorenzo Barrault-Stella et Clémentine Berjaud, s'intéressent aux votes FN de deux jeunes de Lycée Professionnel.
La quatrième partie montre qu'en dépit des apparences (Jordan Bardella en « fils du peuple », « immigré » de surcroît), le RN, si l'on s'en tient à la composition de son appareil, est loin d'être un parti « populaire ». Safia Dahani montre qu'il est investi par les cadres du secteur privé (« en haut à droite » de l'espace social) et Guillaume Letourneur que « les petits moyens » échouent à s'y faire une place à la mesure de leurs ambitions.
En conclusion, Willy Pelletier témoigne de « l'ethnocentrisme militant » des groupuscules antifascistes et Gérard Mauger et Willy Pelletier s'interrogent sur les conséquences politiques à tirer des enquêtes rassemblées dans ce livre. -
La canonisation libérale de tocqueville
Claire Le strat, Willy Pelletier
- Syllepse
- La Politique Au Scalpel
- 5 Octobre 2005
- 9782849500668
Le " retour " de Tocqueville est souvent salué comme l'expression du renouveau du débat démocratique en France. Pris comme équivalent fonctionnel de Marx, Tocqueville a été fait monument, prophète libéral de la modernité. Il n'est pas question dans ce livre d'apprécier le libéralisme de Tocqueville, ni ses qualités de sociologue ou d'historien. Il s'agit de décrire les opérations dont procède son succès public. En l'occurrence, de restituer comment son image consacrée fut importée des États-Unis et plusieurs fois re-produite plutôt que reproduite, puis diffusée et imposée. Au point que la définition libérale de Tocqueville, forte de toute la force sociale de ceux qui l'ont arrêtée, fait à présent consensus. Analyser comment ce consensus a été fabriqué, et Tocqueville ainsi canonisé, interroge en retour tous les discours qui s'autorisent de son nom. Mais, plus encore, l'enquête éclaire les mécanismes par lesquels s'établit la grandeur d'un " grand ", jusqu'à n'être plus questionnable.
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Savoir/agir : les classes populaires et le FN ; explications de votes
Gérard Mauger, Willy Pelletier
- Croquant
- Savoir/Agir
- 19 Janvier 2017
- 9782365121019
Beaucoup d'ouvrages s'occupent du FN. Mais très peu se centrent sur les votes et les votants FN. Il est pourtant urgent de les comprendre Avant de condamner les « votes FN », il vaut mieux en examiner la possibilité et les justifications. Il se pourrait même que ce soit une des manières les plus efficaces, de s'opposer à leur prolifération. Car contre le FN, on ne compte malheureusement plus les débauches d'énergies, les oppositions sans concession, les dénonciations, les rassemblements, les manifestations dans lesquels des trésors de bonne volonté militante se sont investis et, au vue des résultats électoraux obtenus... ensevelis et perdus. Cette débauche d'énergie semble ne jamais concerner ni atteindre individuellement ceux qui votent FN.
A présent, il est temps, grand temps même, de comprendre « d'où viennent ces votes FN » si l'on veut s'employer à contenir leurs progressions.
L'ouvrage s'appuiera sur des enquêtes de terrain, mais il sera aussi polémique : en rupture avec les idées-reçues sur le FN et en rupture avec l'ethnocentrisme militant ordinaire qui « pèsent sur nous comme un couvercle », et qui remplissent de réponses commodes en décourageant les investigations qui dérangent.
Cet ouvrage dira « non », autant de « non » - outillés des ressources de sciences sociales - qu'il faut pour que soit appréhendé « d'où viennent ces votes FN, tant de votes FN ? ».
1) Non, « le » vote FN n'existe pas Ce serait croire en la continuité « de substance » et transhistorique de « la même extrême droite », en la résurgence périodique de « la bête immonde ». Alors que nonobstant l'identité de la marque (FN), ont été sous ce label organisées (aux prix de luttes internes vives qu'il faut recomposer) des entreprises politiques très différentes dans leurs recrutements, leurs organisations, leurs professionnalisations, leurs managements, leurs hiérarchies, leurs mobilisations électorales...et conséquemment leurs « offres » programmatiques.
Ce serait croire que les électeurs qui font (en une configuration particulière du marché politique et de leurs trajectoires) usages des bulletins FN sont ensuite fidèles à la marque. C'est supposer une continuité trop forte des itinéraires de votes. Ce qu'il faut examiner. D'un scrutin à l'autre, ce ne sont jamais exactement les mêmes individus qui vont voter. En 2002, près d'un quart des électeurs ayant voté Le Pen au premier tour, n'ont pas voté identiquement au second. En 2007, la moitié des votants Le Pen de 2002 ne votent plus pareil et 40% des votants Le Pen n'avaient pas voté pour lui en 2002. Il faut désormais analyser si, sous l'effet d'une légitimité accrue de la marque, la stabilité des votants FN « nouvelle formule » s'en trouve consolidée ou pas ?
Ce serait croire en « un » vote FN, alors qu'il y a « des » votes FN. Ils sont irréductibles les uns aux autres, extrêmement différents, notamment quant aux positions et aux trajectoires sociales, aux représentations de sa position dans l'espace social, aux rapports à l'avenir, qu'ils expriment...
Plusieurs cas seront ici travaillés.
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En finir d'urgence avec le logement cher
Jean-baptiste Eyraud, Willy Pelletier
- Syllepse
- Note De La Fondation Copernic
- 5 Septembre 2013
- 9782849503379
Personne ne le voit assez, mais jamais depuis longtemps la France n'a connu une situation du logement aussi dégradée.
Absolument tous les indicateurs sont au rouge. Les impayés dans les HLM atteignent des records, de même que les expulsions de locataires. Les prix des loyers ont triplé sur trente ans.
Les conditions pour louer sont de plus en plus intrusives, insupportables, déraisonnables. Les allocations logements se voient restreintes de centaines de millions d'euros.
Cependant que les profits engrangés par les propriétaires-bailleurs ont plus que doublé depuis 1984, une fois l'inflation déduite ! La situation vire à l'ubuesque si l'on n'oublie pas qu'existent, dans ce pays, 2,12 millions de logements inoccupés, pendant que les sans-logis n'ont plus aucun recours, depuis que les lits offerts par le Samu social ont été drastiquement réduits.
Quant à la loi Dalo, elle est largement inefficace. On ne peut se résoudre à un tel scandale, il n'y a pas de fatalité. Des pistes simples sont possibles pour en finir tout de suite avec le logement cher et la multiplication des sans-toits.
Cette Note de la Fondation Copernic les expose et incite à agir avec détermination, sans attendre.
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Savoir/agir : que faire des partis politiques ?
Daniel Gaxie, Willy Pelletier
- Croquant
- Savoir/agir
- 6 Septembre 2018
- 9782365121699
De l'avis général, les partis politiques sont en crise. Certains pensent qu'ils vont disparaître. Des mouvements, assez immatériels dans leur organisation et leur fonctionnement, seraient appelés à les remplacer.
L'apport de cet ouvrage est de recenser les causes nombreuses et complexes des transformations des par- tis. C'est aussi la question de la défiance à l'égard de la politique qui est abordée de manière concrète et approfondie. Sans langue de bois dans la pluralité des points de vue. L'originalité de l'ouvrage est aussi de rassembler des chercheurs et des témoins, militants ou anciens militants d'organisations diverses.
Le point de vue de l'action vient utilement en contrepoint des sciences sociales. Le lecteur est étonné par la multiplicité des aspects qui doivent être pris en compte pour comprendre l'affaissement d'orga- nisations qui étaient des acteurs majeurs de l'activité politique dans le passé. On entre dans les détails et les composantes multiples des organisations partisanes. On recense en creux toutes les facettes sur lesquelles il faudrait intervenir pour inverser la tendance. Une telle inversion est-elle possible ? Pour- quoi les partis sont-ils devenus si répulsifs ? Quel est leur avenir ? Quelles sont les conséquences de leur affaiblissement ? Des mouvements comme La République en Marche ou Cinq Étoiles en Italie vont-ils les remplacer ?
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Il est faux de répéter qu'il y a, dans ce pays, une montée de l'insécurité, des crimes, des délits. La violence n'est pas où il est d'usage de la mettre. La violence pourtant augmente. Elle est sur les lieux de travail, intense, accentuée, mais pour qui ? Elle tue, ampute, brise. Elle est pour les racisés, discriminés partout. Violence systémique d'un racisme systémique. Elle est pour les locataires pauvres, les sans domicile toujours plus nombreux, les jeunes sans avenir voué aux bullshits jobs, les anciens aux ressources diminués, et les handicapés aussi, ce peuple de masse. Elle est pour les manifestants, les migrants et ceux qui les aident, criminalisés, ou tabassés et fichés. Elle est dans le mépris social et l'élimination scolaire qui s'avive. Elle dans le sexage ordinaire que subissent les femmes. Elle est dans la peine qui vous ravage, que supportent les gros, les laids, les LGBT, insupportablement rejetés. La violence économique, le massacre des services publics, l'effondrement des relations sociales, tissent et sans cesse empêchent les vies populaires dans les zones rurales pauvres. Vies cassées, défoncées, chacun isolé dans ses malheurs et ses cauchemars. Et alors, en cascade, dans les familles, entre voisins et dans les relations entre hommes et femmes, ça craque, ça cogne, plus qu'avant. Avec des effets dans les urnes, bien sûr. Les gens votent avec leurs vies. Les violences ainsi inondent le monde social. Flot invisible qui devient tempête et cette somme des colères d'où sort le vote RN. Les violences sont disséminées mais dissimulées. Qui les produit ? Ce texte l'examine également.
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L'Etat démantelé ; enquête sur une révolution silencieuse
Laurent Bonelli, Willy Pelletier
- La découverte
- Cahiers Libres
- 2 Septembre 2010
- 9782707160195
Dans le débat public, les diagnostics alarmistes sur la ' crise de l'Etat-providence ', et les procès contre l'Etat-redistributeur, ont laissé place à toujours plus d'injonctions à ' réformer l'Etat '. Cette ' réforme de l'Etat ' est devenue le point de ralliement des élites (de droite comme de gauche), des décideurs européens, mais aussi des intellectuels les plus écoutés, des journalistes, voire des syndicalistes, comment en témoigne le succès médiatique, en 2000, sous la direction de Bernard Spitz et Roger Fauroux, Notre Etat, devenue la Bible des ' réformateurs '. Qu'est-ce que recouvre ce programme de ' réforme de l'Etat ? Comment a-t-il été mis en oeuvre depuis dix ans ? Quelles conséquences pour le service public et les usagers ? Comment, au quotidien, les fonctionnaires font-ils ' avec ' ? Ce livre s'efforce de répondre à ces questions en mobilisant plusieurs points de vue et leurs expériences, des fonctionnaires, des usagers, des syndicalistes et des chercheurs. Ce livre était nécessaire pour comprendre une révolution silencieuse. Car, si les réformes néolibérales de l'Etat s'effectuent parfois à grand renfort de publicité (privatisation de La Poste, restrictions des budgets de l'hôpital public ou de l'Education nationale), elles sont le plus souvent invisibles, et ne rencontrent que des protestations sectorielles, peu coordonnées, encore moins médiatisées. Elles passent par tel décret, telle directive, telle circulaire, voués à demeurer obscurs et confidentiels, dans certains cas élaborés par des cabinets d'audit privés... La plupart, et parmi les plus structurelles, passent inaperçues, sauf pour ceux qui en affrontent directement les conséquences : disparition des directions départementales des ministères, réorganisation managériale des services publics, démantèlement des statistiques publiques, révision générale des politiques publiques, partenariats public-privé, paupérisation des services publics pour mieux attester de leur inefficacité, ouverture de la concurrence entre public et privé (Poste, ANPE), sous-traitance des missions de service public, précarisation de l'emploi, etc. Au terme de ce voyage dans la ' réforme de l'Etat ' et ses effets, c'est le paysage des services publics, de nos services publics, que l'on voit silencieusement se dissoudre dans la logique néolibérale.