« On est volontiers persuadé d'avoir lu beaucoup de choses à propos de l'holocauste, on est convaincu d'en savoir au moins autant. Et, convenons-en avec une sincérité égale au sentiment de la honte, quelquefois, devant l'accumulation, on a envie de crier grâce.
C'est que l'on n'a pas encore entendu Levi analyser la nature complexe de l'état du malheur.
Peu l'ont prouvé aussi bien que Levi, qui a l'air de nous retenir par les basques au bord du menaçant oubli : si la littérature n'est pas écrite pour rappeler les morts aux vivants, elle n'est que futilité ».
Angelo Rinaldi
«Assez tôt, j'ai compris que je n'allais pas pouvoir faire grand-chose pour changer le monde. Je me suis alors promis de m'installer quelque temps, seul, dans une cabane. Dans les forêts de Sibérie. J'ai acquis une isba de bois, loin de tout, sur les bords du lac Baïkal. Là, pendant six mois, à cinq jours de marche du premier village, perdu dans une nature démesurée, j'ai tâché de vivre dans la lenteur et la simplicité. Je crois y être parvenu. Deux chiens, un poêle à bois, une fenêtre ouverte sur un lac suffisent à l'existence. Et si la liberté consistait à posséder le temps ? Et si la richesse revenait à disposer de solitude, d'espace et de silence - toutes choses dont manqueront les générations futures ? Tant qu'il y aura des cabanes au fond des bois, rien ne sera tout à fait perdu.»
Comme un écrivain qui pense que « toute audace véritable vient de l'intérieur », Leïla Slimani préfère la solitude à la distraction. Pourquoi alors accepter cette proposition d'une nuit blanche à la Pointe de la Douane, à Venise, dans les collections d'art de la Fondation Pinault, qui ne lui parlent guère ? Autour de cette « impossibilité » d'un livre, avec un art subtil de digresser dans la nuit vénitienne, Leïla Slimani nous parle d'elle, de l'enfermement, du mouvement, du voyage, de l'intimité, de l'identité, de l'entre-deux, entre Orient et Occident, où elle navigue et chaloupe, comme Venise à la Pointe de la Douane.
«Il y a deux siècles, des mecs rêvaient d'autre chose que du haut-débit.
Ils étaient prêts à mourir pour voir scintiller les bulbes de Moscou.» Tout commence en 2012 : Sylvain Tesson décide de commémorer à sa façon le bicentenaire de la retraite de Russie. Refaire avec ses amis le périple de la Grande Armée, en side-car! De Moscou aux Invalides, plus de quatre mille kilomètres d'aventures attendent ces grognards contemporains.
Depuis Les Cercueils de zinc et La Supplication, Svetlana Alexievitch est la seule à garder vivante la mémoire de cette tragédie qu'a été l'URSS, la seule à écrire la petite histoire d'une grande utopie. Mais elle est avant tout un écrivain, un grand écrivain. Ce magnifique requiem utilise une forme littéraire polyphonique singulière, qui fait résonner les voix de centaines de témoins brisés.
Ma famille maternelle a quitté la Roumanie communiste en 1961. On pourrait la dire «immigrée» ou «réfugiée». Mais ce serait ignorer la vérité sur son départ d'un pays dont nul n'était censé pouvoir s'échapper. Ma mère, ma tante, mes grands-parents et mon arrière-grand-mère ont été «exportés». Tels des marchandises, ils ont été évalués, monnayés, vendus à l'étranger.Comment, en plein coeur de l'Europe, des êtres humains ont-ils pu faire l'objet d'un tel trafic? Les archives des services secrets roumains révèlent l'innommable:la situation de ceux que le régime communiste ne nommait pas et que, dans ma famille, on ne nommait plus, les juifs.Moi qui suis née en France, j'ai voulu retourner de l'autre côté du rideau de fer. Comprendre qui nous étions, reconstituer les souvenirs d'une dynastie prestigieuse, la féroce déchéance de membres influents du Parti, le rôle d'un obscur passeur, les brûlures d'un exil forcé. Combler les blancs laissés par mes grands-parents et par un pays tout entier face à son passé.
«J'aimerais penser que je vous manque un peu...»: le 4 mars 1935, Stefan Zweig, qui met alors la dernière main à Marie Stuart, adresse une lettre à sa nouvelle secrétaire, Lotte Altmann. Recrutée grâce à l'organisme juif d'assistance aux réfugiés à Londres, où Zweig s'est exilé un an plus tôt, elle est vite devenue la collaboratrice indispensable au travail littéraire de l'écrivain. Ils se marieront en 1939 , et se donneront la mort ensemble dans de tragiques circonstances, à Petropolis en 1942.Ces Lettres à Lotte couvrent une période décisive dans la vie de Stefan Zweig. Il s'y montre un patron attentionné mais exigeant; un écrivain acharné à publier en dépit de la persécution hitlérienne; un homme tout à la fois résolu à rompre avec Friderike, sa première femme, et hésitant. Réunies par Oliver Matuschek, biographe de Zweig, illustrées de photos inconnues, elles composent le récit vivant d'une relation et de son contexte, une Europe à feu et à sang, éclairant d'une lumière inédite la personnalité et l'oeuvre d'un des plus grands écrivains du XXe siècle.
« Cueilli impréparé, j'étais de ces taulards qui font leur entrée dans le monde sans aucun effet personnel. » Irkoutsk, Sibérie orientale. Yoann Barbereau dirige une Alliance française depuis plusieurs années. Près du lac Baïkal, il cultive passions littéraires et amour de la Russie. Mais un matin de février, sa vie devient un roman, peut-être un film noir. Il est arrêté sous les yeux de sa fille, torturé puis jeté en prison. Dans l'ombre, des hommes ont enclenché une mécanique de destruction, grossière et implacable, elle porte un nom inventé par le KGB : kompromat. Il risque quinze années de camp pour un crime qu'il n'a pas commis. L'heure de l'évasion a sonné...
En septembre 2016, l'inénarrable Jerry Stahl touche le fond. La dépression qui le ronge depuis toujours est au plus haut, sa carrière et sa vie personnelle au plus bas. Lorsqu'il découvre au détour d'une improbable alerte Google « Holocauste » que des tours opérateurs organisent des voyages en car à travers l'Allemagne et la Pologne sur les lieux de la tragédie, il décide de s'inscrire. S'il ne peut soigner sa dépression, il ira la nourrir en compagnie de ces étranges « touristes des camps de la mort ». Roadtrip collectif dément, entre introspection récalcitrante et expérience post-gonzo, « Nein, Nein, Nein ! » se présente comme une enquête corrosive et hilarante sur le rapport disneylandisé aux lieux de mémoire, où Jerry déploie toutes les nuances de son humour tordu absolument unique.
Puisque l'époque nous assigne à résidence, prenons la fuite et passons l'été à bord du bateau ivre de la poésie : Arthur Rimbaud.
Sylvain Tesson s'attaque au mythe Rimbaud en le sortant de la kermesse biographique et en le dépoussiérant de ses vieux habits de jeune monstre de la poésie : Rimbaud anarchiste, communard, voyou, punk, beatnik, sauvage, avant-gardiste, moderne, trouvère, futuriste... Certes mais surtout Rimbaud, poète.
A ses côté, Sylvain Tesson marche et traverse les paysages réels ou imaginaires suivant le cap tracé par René Char : « Rimbaud poète, cela suffit et cela est infini » A la vitesse de l'éclair mais aussi avec humour et lucidité, des Ardennes au désert africain Sylvain Tesson en voyageur aventureux perce à jour le voyant monstrueux qui révolutionna la poésie et qui n'avait qu'un ennemi : l'ennui.
Un été particulièrement incandescent où la route est une illumination.
Un été avec Rimbaud est le 9 e titre de la collection.
«Limonov n'est pas un personnage de fiction. Il existe. Je le connais. Il a été voyou en Ukraine ; idole de l'underground soviétique sous Brejnev ; clochard, puis valet de chambre d'un milliardaire à Manhattan ; écrivain branché à Paris ; soldat perdu dans les guerres des Balkans ; et maintenant, dans l'immense bordel de l'après-communisme en Russie, vieux chef charismatique d'un parti de jeunes desperados. Lui-même se voit comme un héros, on peut le considérer comme un salaud : je suspends pour ma part mon jugement.» Emmanuel Carrère.
« La guerre avait fauché une génération. Nous étions effondrés. Mon oncle et ma tante avaient beau être médecins, ils ne possédaient plus rien. Leur clientèle avait disparu. Leur maison avait été pillée. Leurs économies avaient fondu. Le lendemain de mon arrivée à Paris, comme ils n'avaient ni argent ni vêtements à m'offrir, c'est une voisine qui m'a secourue avec une robe et des sous-vêtements.
Il régnait dans la maison une atmosphère de désolation.
Il n'y avait plus le moindre meuble. Les miroirs avaient été volés, à part ceux qui étaient scellés aux murs et que les pillards n'avaient pas pu emporter.
Je faisais ma toilette matinale devant un miroir brisé par une balle. Mon image y apparaissait fissurée, fragmentée.
J'y voyais un symbole.
Nous n'avions rien à quoi nous raccrocher. Ma soeur Milou était gravement malade, mon oncle et ma tante avaient perdu le goût de vivre. Nous faisions semblant de vouloir continuer. » Simone Veil raconte son enfance, sa déportation, et l'impact de cette épreuve dans sa vie.
Récit recueilli par David Teboul.
Suivant les notes laissées par Montaigne dans son Journal de Voyage, Gaspard Koenig a retracé le trajet du philosophe pour le parcourir à son tour, à dos de cheval. Il a ainsi traversé la France et l'Italie passant par le Périgord, la Champagne, les Vosges, la Bavière, la Toscane...
Au-delà de cette véritable épopée, il s'agit pour le philosophe d'aller à la rencontre des Européens, dans les pas d'un humaniste qui ignorait les frontières et qui aimait voyager pour « frotter et limer sa cervelle contre celle d'autrui ». Sur le même modèle, Gaspard Koenig nous offre un voyage philosophique, entrepris afin de confronter notre monde contemporain à son passé, et, plus encore, à son avenir pour dessiner, un nouvel humanisme européen.
Stefan Zweig Marie-Antoinette Vilipendée par les uns, sanctifiée par les autres, l'« Autrichienne » Marie-Antoinette est la reine la plus méconnue de l'histoire de France. Il fallut attendre Stefan Zweig, en 1933, pour que la passion cède à la vérité.
S'appuyant sur les archives de l'Empire autrichien et sur la correspondance du comte Axel de Fersen, qu'il fut le premier à pouvoir consulter intégralement, Stefan Zweig retrace avec sensibilité et rigueur l'évolution de la jeune princesse, trop tôt appelée au trône, que la faiblesse et l'impuissance temporaire de Louis XVI vont précipiter dans un tourbillon de distractions et de fêtes.
Dans ce contexte, la sombre affaire du collier, habilement exploitée par ses nombreux ennemis à la cour de France, va inexorablement éloigner Marie-Antoinette de son peuple.
Tracé avec humanité et pénétration, ce portrait est assurément un des chefs-d'oeuvre de la biographie classique, où excella l'auteur de Trois poètes de leur vie et de Vingt-quatre heures de la vie d'une femme.
Pendant huit mois, Sylvain Tesson a refait le long voyage de la Sibérie au golfe du Bengale qu'effectuaient naguère les évadés du goulag. Pour rendre hommage à ceux dont la soif de liberté a triomphé des obstacles les plus grands, seul, il a franchi les taïgas, la steppe mongole, le désert de Gobi, les Hauts Plateaux tibétains, la chaîne himalayenne, la forêt humide jusqu'à la montagne de Darjeeling. À pied, à cheval, en vélo, sur six mille kilomètres, il a connu ce qu'il a cherché de plein gré : le froid, la faim, la solitude extrême. La splendeur de la haute Asie l'a récompensé, comme les mots d'une très ancienne déportée heureuse de se confier à lui : « On a le droit de se souvenir. »
Chacun sait que l'Orient-Express, le train mythique qui relie Paris à Istanbul, a inspiré la fiction dès sa mise en service en 1883. Mais le public n'en a guère retenu que les noms d'Agatha Christie, de Graham Greene ou de Paul Morand. Pourtant, cette littérature est aussi abondante que méconnue. Dès 1914, elle aborde par exemple de grandes thématiques telles que le luxe et la luxure, le brigandage, le complot et l'imaginaire d'une plus grande Europe. La Belle Époque explore plus particulièrement les paradoxes de cet imaginaire, de la séduisante madone des sleepings au train de l'angoisse. Avant que le second vingtième siècle ne balance entre la critique, la parodie et la nostalgie d'un monde perdu.
De Jean Giraudoux à Graham Greene, d'Apollinaire à Agatha Christie en passant par Lawrence Durrel, Edmond About ou Albert Londres, Blanche El Gammal nous offre une anthologie de textes célèbres et oubliés et nous fait voyager de manière singulière dans l'Europe du siècle dernier, entre exotisme, propagande, fantasmes et désillusions.
«Je vis dans une ville qui subit l'amour de plus de trente millions de personnes par an. Aucune raison de se plaindre, me direz-vous; il y a pire comme destin:être atteint de leucémie, de toxicomanie, ou encore survivre dans les déserts glacés des zones polaires où seules certaines variétés de lichens osent pousser. Et pourtant, aujourd'hui pour ses habitants, vivre à Venise signifie surtout observer sa ville en train de mourir.»Mariée à un Vénitien depuis de longues années, c'est seulement lorsqu'elle a su piloter sa topetta sur la lagune que Petra Reski s'est sentie pleinement vénitienne. Dans ce livre dédié à «sa» ville, elle partage ses souvenirs intimes entre le cinéma San Marco, le théâtre Ridotto et d'autres lieux mythiques et nous fait partager la parenthèse enchantée du confinement qui a rendu les canaux à ses habitants...Cette déclaration d'amour vivante et attachante est avant tout une contre-carte postale. Écrit sans complaisance, ce récit témoigne de la nécessité d'un engagement politique et citoyen pour sauver Venise de la corruption institutionnalisée, du tourisme destructeur et de l'urgence écologique qui la menacent.
Se pourrait-il qu'un tableau célèbre soit l'unique oeuvre qui nous reste d'un des plus grands peintres de la Renaissance vénitienne ? Un égal du Titien ou du Véronèse ? Né à Constantinople en 1519, Elie Soriano a émigré très jeune à Venise, masqué son identité, troqué son nom contre celui d'Elias Troyanos, fréquenté les ateliers de Titien, et fait une carrière exceptionnelle sous le nom de Turquetto : le "Petit Turc". Metin Arditi retrace le destin mouvementé de cet artiste, né juif en terre musulmane, nourri de foi chrétienne, qui fut traîné en justice pour hérésie.
Guerre d'Espagne, sort réservé aux plus pauvres dans les hôpitaux du début du XXe siècle, vocation d'écrivain mêlée de vision politique, formes subreptices de la censure littéraire... Dans ces six textes aux multiples échos avec ses grandes oeuvres, l'auteur de 1984 et de Dans la dèche à Paris et à Londres déploie toute la force de son engagement.«Je le répète, il n'y a pas de livre dénué de préjugé politique. L'idée selon laquelle l'art ne devrait rien avoir affaire avec la politique constitue elle-même une opinion politique.»
«La guerre féminine possède ses propres couleurs, ses propres odeurs, son propre éclairage et son propre espace de sentiments. Ses propres mots enfin.»
Alba Donati menait une vie trépidante. Son travail dans l'édition la comblait, lui permettant de rencontrer des auteurs de premier plan. Pourtant, à la cinquantaine, elle décide de tout quitter pour réaliser son rêve d'enfant : retourner à Lucignana, le village de Toscane où elle est née, et ouvrir sa librairie dans une jolie cabane à l'orée des bois, sur la colline.
Avec seulement 180 habitants dans tous les environs, son entreprise semble vouée à l'échec commercial. Ouverte en 2019 grâce à un financement participatif, la librairie affronte d'abord un incendie qui la détruit en partie, puis, juste après, les restrictions du confinement. C'est alors que s'organise autour d'Alba un étrange et vertueux mouvement de solidarité. Famille recomposée d'amoureux des livres ? Intelligence collective ? Attrait pour la beauté du lieu ? Désir profond et partagé de bénévolence et de bénévolat ? Au fil du temps s'érige une « zone à défendre » poétique. Laisser disparaître une librairie à peine née ? Plutôt mourir !
Cachée sous la Venise des cartes postales, il existe une Venise inconnue, celle des églises jamais ouvertes. Jean-Paul Kauffmann a déverrouillé ces portes solidement cadenassées, un monde impénétrable où dorment des chefs-d'oeuvre. Ce récit, conduit à la manière d'une enquête policière, raconte les embûches pour se faire ouvrir ces édifices. Enfant, l'auteur servait la messe dans une église d'Ille-et-Vilaine. Il s'y ennuyait souvent, mais c'est dans ce sanctuaire qu'est née la passion de dévoiler le secret de la chose défendue. Il poursuit cet exercice de déchiffrement à Venise, la ville de la mémoire heureuse, pourtant attaquée sans relâche par le tourisme mondialisé. Pendant des mois, il arpente une Venise hors champ, et y trouve aussi ce qu'il ne cherchait pas. Venise à double tour est un livre sur le bonheur de voir et la jubilation dispensée par la ville qui exalte les cinq sens. On y croise entre autres Jacques Lacan, Hugo Pratt, une belle restauratrice de tableaux, une guide touristique souveraine, un Cerf blanc, le propriétaire d'un vignoble vénitien et un Grand Vicaire, maître de l'esquive.
En 2003, Sylvain Tesson a parcouru à pied, à cheval et à bicyclette le chemin de ceux qui, pendant un demi-siècle, ont fui le goulag ou l'oppression soviétique.
Ce rude voyage de huit mois, à la rencontre des survivants du système concentrationnaire, est une célébration de l'esprit d'évasion et un hommage à ceux qui choisissaient la liberté au prix du froid, de la faim, de la solitude.
:Les téléphones n'étaient alors ni intelligents ni mobiles, les voitures pas encore hybrides. C'étaient les années 1970 et un jeune homme partait en stop sur les routes d'Europe. Pour se découvrir, pour l'aventure et pour trouver l'âme soeur. Au hasard de ses voyages, saupoudrés de rock plus ou moins dur et de drogues plus ou moins douces, il collectionne les rencontres, dort en prison, fait fumer un joint à un aumônier.
Mais Kerouac est mort en 1969, et « partir c'est partir loin et partir loin c'est revenir ». Cette chronique gentiment déjantée d'un monde parallèle où l'auto-stop pouvait emporter très loin ses serviteurs est d'une irrésistible drôlerie.