Les différents recueils des écrits de Walter Benjamin parus en français sont loin d'être exhaustifs. Parmi les textes oubliés se trouvent de nombreuses richesses voire dans certains cas de véritables mines d'or. Ont été rassemblés dans ce volume des textes inédits ou introuvables, publiés dans des revues confidentielles ou difficiles à consulter, porteurs à des degrés divers d'une critique radicale de la civilisation moderne. Qu'il s'agisse des guerres chimiques de l'avenir - " Les armes de demain " (1925) - ou de la condition des ouvriers dans l'Allemagne nazie, la plupart de ces écrits porte un regard lucide, ironique ou tragique, sur le monde " civilisé " du XXème siècle (et parfois sur ses origines dans les guerres de conquête du XVIème siècle). Cette critique qui peut prendre des formes littéraires, théologiques ou philosophiques, puise à trois sources principales : le messianisme juif, le romantisme allemand et, à partir de 1925, le marxisme.
La référence au romantisme - non seulement en tant que littérature mais comme protestation culturelle contre la civilisation moderne, au nom d'un passé idéalisé - est présente tout au long de cet itinéraire, et n'est pas effacée par la découverte de Marx ou de Lukacs. Depuis le texte de jeunesse intitulé Romantik jusqu'au dernier compte-rendu sur Albert Béguin, en passant par Bachofen, ETA Hoffman et Johannes von Baader, Walter Benjamin ne cesse de construire, avec les pièces du kaleïdoscope romantique, ses propres figures de la subversion culturelle, tout en ouvrant un chemin utopique nouveau qui mène, grâce à un détour par le passé, à un avenir émancipé.
Le principe de Publicité est le principe de contrôle que le public bourgeois a opposé au pouvoir pour mettre un terme à la pratique du secret propre à l'Etat absolu. Créateur d'une véritable sphère publique, ce principe circonscrit, à partir du XVIlIe siècle, un nouvel espace politique où tente de s'effectuer une médiation entre la société et l'État, sous la forme d'une «opinion publique» qui vise à transformer la nature de la domination. A l'aide d'un ensemble institutionnel déterminé, qui permet le développement de discussions publiques ayant pour objet des questions d'intérêt général, il s'agit de soumettre l'autorité politique au tribunal d'une critique rationnelle. Le modèle libéral de la sphère publique, outre qu'il repose sur la répression de l'opinion publique plébéienne, se révèle inadéquat pour rendre compte de l'espace politique des démocraties de masse, régies par un Etat social. Au terme d'un processus complexe d'interpénétration des domaines privé et public, on assiste à une manipulation de la Publicité par des groupes d'intérêts et à une reféodalisation de la sphère publique. Au sein de l'État social, la sphère publique politique est caractérisée par un singulier désamorçage de ses fonctions critiques. La Publicité d'aujourd'hui se contente d'accumuler les comportements réponses dictés par un assentiment passif. Au départ, principe de la critique, la Publicité a été subvertie en principe d'intégration. A l'ère de la Publicité manipulée, ce n'est plus l'opinion publique qui est motrice, mais un consensus fabriqué prêt à l'acclamation. En 1990, J. Habermas propose une triple révision : remise en question du concept de totalité, appréciation modifiée de la capacité critique du public, nouvelle interrogation quant à la possibilité d'un espace public. Une conception discursive de la démocratie le conduit à envisager un dédoublement de l'espace public tel que le pouvoir communicationnel puisse influencer le pouvoir administratif et s'opposer à la manipulation par les médias.
Dés le titre de cet essai de 1885, Jean-Marie Guyau coupe d'un seul tranchant la morale de tout ce à quoi elle est traditionnellement associée : l'obligation et la sanction. Contre Kant et contre les morales utilitaristes.
Aussi l'ouvrage fut-il salué en son temps par la critique littéraire comme « une des plus grandes oeuvres philosophiques que l'humanité ait produite ». Ce livre subtil, mélancolique et hardi suscita également l'intérêt, voire l'admiration de Nietzsche qui reconnut en Jean-Marie Guyau un compagnon audacieux, déterminé à parcourir "l'immense et lointaine terre inconnue de la morale". De même, Pierre Kropotkine, théoricien anarchiste, y reconnut l'inventeur d'une morale antiautoritaire, naturelle, capable de se débarrasser des deux formes de pouvoir propres à la morale traditionnelle, le pouvoir de l'obligation redoublé du pouvoir de la sanction.
L'intérêt de Theodor Adorno pour l'oeuvre de Husserl remonte à ses années d'études et à la thése qu'il lui consacra en 1924, et n'a ensuite jamais cessé. Paru en 1956, Pour une métacritique de la théorie de la connaissance est un livre auquel Adorno a commencé à travailler dés les années 1930 et qui lui tenait tant à coeur qu'il s'y est attelé pendant plus de vingt ans.
Éclairant les thèses de Husserl en les resituant dans l'histoire de la philosophie, en commentant également de façon serrée les passages fondamentaux des Recherches logiques, des Méditations cartésiennes ou des Ideen, Adorno fait ici preuve d'une compréhension réelle du sens du projet phénoménologique et de son évolution . Discuter la théorie husserlienne de l'essence, c'est aussi discuter le refus husserlien de penser l'être comme individuel et contingent - et les conséquences politiques de ce refus. Car, pour Adorno, la logique n'est pas un objet extérieur au champ du politique.
Cette traduction devrait contribuer à remettre en cause la confortable vision selon laquelle théorie critique et phénoménologie se seraient développées parallèlement sans jamais se croiser et inviter également à se demander ce qui de la phénoménologie husserlienne est passé dans la pensée d'Adorno.
Étrangement l'oeuvre d'Adorno s'est trouvée en France le plus souvent compartimentée entre esthétique, sociologie, musicologie sans que son unité ne soit considérée. En redonnant toute sa place à la méditation métaphysique d'Adorno, au coeur de La Dialectique négative, et dont le philosophe de Francfort jugeait qu'elle ne pouvait pas ne pas avoir été entamée, compromise, affectée par la barbarie de la Seconde Guerre Mondiale, cet essai fait la démonstration de l'existence d'une telle unité métaphysique architectonique et circonscrit ce faisant, l'enjeu fondamental de la réception française d'Adorno.
Il est aussi invention d'une méthode d'analyse. Méthode dont la « stridence » (mot emprunté aux Voix du silence de Malraux) est le concept clef. Analyse de la bizarrerie de la réception ou de la non-réception d'un livre majeur ; et du conflit philosophique qui opposa Lyotard à Derrida, à propos d'Adorno. Quels furent les effets de turbulence, de mutation, de déplacement conceptuels, mais aussi de silence, qu'a suscité le nom du philosophe allemand à l'intérieur des oeuvres des deux philosophes français, des années 1980 à leurs morts ? Quels furent les effets d'après-coup, pour constituer le périmètre de l'échange conflictuel en une « conjoncture doctrinale » ?
Ce suivi des transformations conceptuelles définit la stridence, et implique une nouvelle manière d'écrire l'histoire de la philosophie qui étudie les auteurs à partir d'un conflit qui s'est prolongé souterrainement dans les livres pour hanter et changer les pensées.
Enfin, cet essai montre tant par son propos que par sa méthode, comment l'histoire de l'extermination des Juifs d'Europe a peu à peu gagné le champ philosophique français, au prix d'une mésinterprétation de la pensée d'Adorno, déplacée du fait de Lyotard vers le champ esthétique pour y nourrir un interdit de représentation de la Shoah, source de nombreux conflits contemporains. Or ce qu'Adorno définissait comme l'innommable n'était pas réductible à l'irreprésentable. Par contrecoup, voici produite une généalogie du conflit relatif à la représentation de l'extermination, qui déchire aujourd'hui encore nos contemporains (Didi-Huberman, Lanzmann, Rancière, etc.).
Dans le sillage de Nietzsche et Freud, Adorno questionne les sources psychiques des attitudes et des points de vue moraux dans la société, comme le respect ou l'attention à l'autre et à sa situation concrète. Axé sur les rapports entre philosophie, psychanalyse, sociologie et sciences sociales, ce livre souligne les liens étroits qui unissent la marchandisation croissante du social et la désagrégation des interactions humaines.
Quelles formes peut encore prendre le possible ? La réponse se trouve peut-être chez les utopistes du XIXe siècle (Charles Fourier et Claude-Henri Saint-Simon) pour qui les liens entre art, utopie et politique, dévoilent la nature même de ce qui définit l'art engagé dans la modernité : un recours contre les formes récurrentes de l'aliénation. De cette réflexion surgit la figure de l'artiste d'avant-garde, celui qui a le pouvoir de rendre sensible une alternative au monde tel qu'il est. Ces esquisses dessinent une véritable esthétique de la rébellion, où il est question, non seulement dans la place émancipatrice de l'art et du sensible dans les discours utopiques, mais, surtout, de l'importance du corps et de ses désirs pour dessiner une société autre.
Le despote, monarque royal ou républicain, n'est jamais que le tyran légitimé par les dieux, un Dieu, ou le Peuple dans un système de droit politique.
Constellation inédite de textes des années 60, consacrés à l'analyse de l'influence de la radio et du disque sur la musique, la variété des types d'écoute, la création musicale et sa réception, les liens entre musique et cinéma...
Dès les années 30, le philosophe Theodor W. Adorno s'est intéressé à l'apparition conjuguée de la musique contemporaine (l'École de Vienne) et des nouveaux moyens techniques de reproduction du son et de l'image (la radio, le disque, le cinéma). Jusqu'à sa mort, en 1969, il a inlassablement cherché à penser les relations complexes qu'entretiennent l'art, la technique et la culture dans la société moderne.
Certains de ces textes sont l'écho des émissions de radio qu'Adorno présentait lui-même, afin d'introduire les auditeurs à l'essence et à la connaissance de la musique et de les initier au sens de l'art et à sa raison d'être.
Tout en ruinant bien des clichés, encore en usage aujourd'hui, sur la culture, l'art et la musique, Adorno développe une pensée à la fois théorique et concrète, philosophique et poétique, sociologique et esthétique. Qu'est-ce, en effet, qu'écouter ? Comment écouter ? Comment et pourquoi écouter la musique ? Qu'entendons-nous au juste quand nous écoutons une oeuvre ? Dans quelle mesure les nouveaux moyens de reproduction et de diffusion du son modifient-ils notre écoute, voire la musique elle-même ? Critique radical de l'industrie culturelle et de la barbarie feutrée qu'elle annonce, il réhabilite cependant les techniques de reproduction et de diffusion.
Karl Löwith reste mal connu en France malgré la publication de ses essais, De Hegel à Nietzsche (Gallimard, 1981) et Max Weber et Karl Marx (Payot, 2009). La biographie d'Enrico Donaggio cherche à remédier à cette lacune, en retraçant la vie intellectuelle et la riche trajectoire de ce philosophe allemand, l'un des plus importants du XXe siècle, qui fut contraint par les nazis de s'exiler en Italie, au Japon et aux États-Unis, et chaque fois tenta de comprendre ces cultures tellement différentes.
Karl Löwith avait fait sa thèse de doctorat sous la direction de Martin Heidegger, alors jeune assistant dont il fut le premier élève, et qu'il suivit plutôt que Husserl, mais auquel il ne cessa de s'opposer. Surtout lorsque celui-ci se rallia au nazisme en 1933. Un an auparavant, il avait publié le premier portrait parallèle de Max Weber et Karl Marx, soulignant le trait commun qui relie en dépit de leurs différences le sociologue au révolutionnaire, tous deux s'étant donné comme sujet d'étude la société moderne en tant que société capitaliste bourgeoise.
La riche documentation rassemblée par Enrico Donaggio, notamment la correspondance de Karl Löwith avec les autres grandes figures philosophiques du siècle passé, ses journaux, les lettres et d'autres pages inédites qui, avec ce qui avait été publié permettait de reconstruire le réseau de ses relations humaines et intellectuelles, l'a convaincu que l'image qu'on en avait - celle d'un historien de la philosophie détaché de sa propre époque - était inexacte. Que la philosophie est en fait le filtre, le médium dont il se sert pour formuler sa critique de la modernité. Il s'efforce de saisir dans ses justes proportions notre rapport au monde critiquant toute représentation illusoire de la réalité et ce mythe fondateur de la pensée philosophique et politique moderne selon lequel l'homme fait son histoire, au point d'apparaître comme l'auteur et l'acteur de son propre destin.
" Lire les livres de Löwith, c'est entrer en contact avec le meilleur de ce que la philosophie européenne a produit ces deux derniers siècles. Une confrontation avec les approches de Hegel, Nietzsche, Marx et Weber, Heidegger et Schmitt qui dissimule en filigrane une critique de la responsabilité politique de la philosophie et une critique entièrement philosophique de la modernité occidentale. La tentative, si l'on veut, de survivre philosophiquement au XXe siècle... "
L'intérêt accru que l'on porte aujourd'hui aux utopies répond à plus d'une interrogation sur notre temps.
Jamais l'utopie ne fut aussi violemment dénoncée et aussi fougueusement exaltée ; elle est devenue le point de fixation de nos hantises et de nos espoirs. La présence simultanée de deux attitudes - méfiance à l'égard de l'utopie et néanmoins désir d'en construire une - marque la conscience de ce temps qui est le nôtre. Qu'éclaire l'utopie et que dissimule-t-elle sous la transparence de la Cité Nouvelle, voulue et désirée ? Rapports complexes entre utopie et histoire que ce livre cherche à dégager en étudiant l'imaginaire social en oeuvre au XVIIIe siècle, et notamment au cours de la Révolution, à une époque où les utopies s'inscrivent durablement dans le champ des attentes et s'imposent comme des images-guides et des idées-forces telles qu'elles orientent les espoirs et sollicitent les énergies collectives.
Lumières de l'utopie et utopie des Lumières... Comment les idées-images d'une Cité Nouvelle donnent un éclairage spécifique aux rêves et promesses que le siècle des Lumières fait surgir à son horizon ? Comment le fait révolutionnaire imprime un élan nouveau et un dynamisme particulier à l'imagination utopique ? Telles sont les interrogations vers lesquelles converge l'analyse discontinue, éclatée de Lumières de l'utopie, par delà la pluralité des thèmes : la pensée politique de Rousseau et le rêve métaphysique de dom Deschamps ; les fêtes en Utopie et l'utopie manifestée dans et par les fêtes révolutionnaires ; le rêve d'une Histoire nouvelle qui réconcilierait l'homme avec sa raison et l'histoire du calendrier révolutionnaire qui transforme ce rêve en institution ; les villes utopiques et le Paris visionnaire de l'époque révolutionnaire, ville imaginaire âprement disputée par le Pouvoir et le Bonheur.
Kant, penseur de la démocratie participative ? La pensée politique moderne a admis la dichotomie entre la réforme, entreprise par le souverain, et la révolution, accomplie par le peuple. Kant est réformiste. Toutefois, sa sympathie pour la Révolution française l'amène à élaborer une politique pragmatique. Animé par un esprit révolutionnaire, le réformisme kantien entend réussir le processus politique de la républicanisation par le moyen de la réforme, tout en rendant justice à la nécessité du processus naturel de la révolution qui réagit à l'oppression de la liberté.
Pourquoi la plèbe ? interroge le philosophe. L'expérience plébéienne constitue donc le passage d'un statut infra-politique - les plébéiens sont les « muets du mutisme civil » - à celui de sujet politique ; dans un double mouvement qui va du refus de la domination au désir d'expérimenter un nouvel être-ensemble, sous le signe de la liberté.
Un événement fondateur, la première sécession plébéienne en 494 avant notre ère, le retrait sur l'Aventin, scène inaugurale qui ouvre à la plèbe l'accès à la parole publique et à l'inscription symbolique dans l'ordre de la cité. De cette configuration première naît une tradition insurgeante, souterraine, voire cachée. Trois caractères la distinguent, le communalisme, l'agoraphilie, une temporalité propre, la brèche.
Peut-on affirmer un principe plébéien, c'est-à-dire un principe progressif et un principe d'émancipation ? M. Breaugh retrace une double genèse du plébéianisme, historique et philosophique. De Machiavel à Jacques Rancière en passant par Ballanche et De Leon, il existe une « pensée de la plèbe » qui se nourrit d'une réflexion renouvelée sur l'accès du grand nombre à l'action politique. M. Breaugh retient trois grandes résurgences du principe plébéien dans la modernité : les sans-culottes parisiens, les jacobins anglais, la Commune de Paris en 1871. La consistance de la politique plébéienne se renforce d'autant plus qu'elle se constitue contre la configuration politique dominante qui, à travers le gouvernement représentatif, les partis politiques, les bureaucraties s'avère être une conception « patricienne » de la politique.
Grâce à L'Expérience plébéienne, c'est une autre intelligence de la démocratie qui nous est offerte : non pas un système de procédures et d'institutions délibératives visant le consensus, mais une expérience d'autre émancipation du grand nombre, à l'épreuve d'une conflictualité génératrice de liberté. L'insurrection n'est-elle pas partie intégrante de l'agir démocratique ? On comprend sans peine que la haine de cette démocratie, sauvage ou radicale, ait entraînée l'oubli du principe plébéien.
Martin Breaugh est professeur de théorie politique à l'Université York (Toronto) et chercheur associé à l'Université du Québec (Montréal).
Pourquoi inviter à redécouvrir Le Dernier Homme de Grainville ? N'est-ce pas un livre vieux de deux siècles qui n'a pas été réédité depuis ? Le qualificatif de chef d'oeuvre méconnu qu'on lui a attribué suffit-il à aiguiser la curiosité ? Le titre n'étonne-t-il pas ? Dans le passé,Charles Nodier et Jules Michelet lui prêtèrent attention, ainsi que Raymond Queneau plus récemment. Les uns et les autres furent sensibles à ce texte qui restitue les aventures d'Omégare - le bien nommé « dernier homme »-, entre Europe et Amérique, dans un monde proche de sa fin où règnent ruines et stérilité.
Si l'intrigue se veut parfois réaliste, elle est aussi riche de faits extraordinaires : prodiges, apparitions que met en scène le Génie de la Terre, et qui contribuent à donner au Dernier Homme sa tonalité particulière. Ce livre qui frappe par son originalité révèle aussi des caractères énigmatiques.
En effet, il peut se donner d'emblée comme l'effet métaphorique de la Révolution française, en ce qu'il associe précisément la clôture de l'événement à la fin d'un monde. La précieuse postface d'Anne Kupiec, soucieuse de faire apparaître l'articulation entre le politique et l'esthétique, tente d'explorer cette oeuvre singulière qui résiste d'autant plus à l'interprétation. Le Dernier Homme a suscité de vives réactions ; il servit de modèle à Mary Shelley par exemple, ou fut presque « corrigé », « rectifié » par ceux qui semblent avoir considéré qu'il recélait une mine de dangers. Car Grainville n'est pas sans porter un regard critique sur les conséquences des Lumières et sur le régime de la connaissance qui en découle ; il est vrai aussi qu'il ne se satisfait pas de la situation politique née de la fin de la Révolution, à tel point que l'on discerne dans son oeuvre une dimension utopique à peine voilée.
Que penser enfin des résonances entre Omégare - bien différent du dernier homme nietzschéen - et Zarathoustra ?
Interrogeant l'oeuvre d'Adorno dans la variété de ses aspects, ce livre en dégage l'unité :
Celle d'une forme spécifique de matérialisme. Dans cette perspective, il prend comme point de départ la question de l'extension du fétichisme de la marchandise dans le capitalisme avancé.
D'abord considéré à la lumière du dialogue mené avec Walter Benjamin au cours des années 30, ce thème est vite apparu comme un opérateur critique qu'Adorno mobilise tout en le remaniant, dans les champs les plus divers.
De l'esthétique à la politique, en passant par la sociologie et l'épistémologie, l'orientation matérialiste de la pensée d'Adorno revêt la forme d'une attention aiguë aux expériences de la non-identité, telles qu'elles se répartissent entre ces deux pôles : celui de la souffrance, exprimant une individuation mutilée par les normes de comportement qu'impose un mode de socialisation pathogène ; celui des objets et de l'expérience esthétiques, où s'ébauche un rapport à la différence qui cesserait de mesurer systématiquement celle-ci à l'aune de l'unité.
Face à la complexité croissante des sociétés du capitalisme avancé, j.
Habermas élabore une nouvelle figure de la théorie critique qui se définit dans l'affrontement, d'une part, avec le marxisme dogmatique, de l'autre, avec la théorie technocratique des systèmes. est-ce que la contradiction fondamentale de la formation sociale capitaliste est toujours à l'oeuvre sans changement, ou est-ce que la logique de la crise a changé ? pour habermas, on n'assiste pas tant à un dépassement de la crise économique qu'à son déplacement, à travers le système politique vers le système socioculturel.
L'antagonisme des classes plutôt que d'être résolu n'est que temporairement refoulé ; aussi la crise économique ne peut-elle être amortie qu'en engendrant une série d'autres tendances à la crise, un véritable faisceau de crises : crise économique, crise de la rationalité, crise de légitimation, crise de motivation. de par l'insistance sur le déplacement de la crise et la mise en lumière des problèmes de légitimation du système social, une nouvelle question surgit : la reproduction de la vie sociale est-elle liée comme auparavant à la raison ? relève-t-elle encore d'une "discussion" qui consisterait à déterminer des intérêts universalisables et à fonder les normes en vérité ? contre toute réduction de la légitimité à la légalité, contre l'empirisme, contre le décisionnisme, habermas pose la possibilité de la constitution d'une pratique rationnelle, en recourant aux normes fondamentales du discours rationnel que nous supposons dans chaque décision, ouvrant ainsi la voie à une éthique communicationnelle.
Aufklärer pour qui la raison est raison décidée, habermas fait appel à la partialité pour la raison : "on a déjà accepté le point de vue de l'adversaire lorsqu'on renonce devant les difficultés de l'aufklärung et qu'en formulant le projet d'une organisation rationnelle de la société on se réfugie dans l'actionnisme, autrement dit lorsqu'on choisit un point de départ décisionniste. la partialité pour la raison ne justifie pas plus le repli dans une orthodoxie chamarrée de marxisme qui ne peut conduire aujourd'hui, dans le meilleur des cas, qu'à l'établissement sans arguments de sous-cultures protégées et politiquement sans conséquence.
" la situation présente "ne découragerait pas la tentative critique pour soumettre les limites de la résistance du capitalisme avancé à des examens concrets, et cela ne paralyserait certes pas la résolution de reprendre le combat contre la stabilisation d'un système social pseudo-naturel qui s'effectuerait par-dessus la tête des citoyens. ".