Les héros de la nature

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J'avais enfin son numéro.Cela faisait six mois que j'essayais de joindre Paul Watson, ce "pirate" qui sillonnait les mers du globe pour sauver les cétacés. La protection des baleines avait été sa priorité jusqu'alors, faisant des baleiniers ses principaux ennemis. Aujourd'hui, Paul Watson consacrait toute son énergie à la sauvegarde des dauphins. Ses cibles étaient les thoniers qui utilisent le lien mystérieux existant entre les dauphins et les thons afin de remplir leurs cales. Certaines races de dauphins évoluent en effet systématiquement au-dessus des grands bancs de thons. Aucune explication n'a été trouvée pour élucider ce rapprochement, mais le phénomène est largement exploité par les pêcheurs. Afin de repérer les bancs de dauphins, les grands thoniers des États-Unis et d'Amérique centrale sont même équipés d'un petit hélicoptère. Les dauphins, qui n'intéressent pas l'industrie de la pêche, sont hissés à bord, écrasés par le filet puis rejetés, morts, dans la mer. Selon le Département du commerce des États-Unis, depuis 1970, plus de 17 millions de dauphins ont ainsi connu cette mort "accidentelle".(...) Ces six derniers mois, Paul Watson avait patrouillé le long des côtes du Japon, du Mexique et de la Norvège. Ces actions coup de poing contre les thoniers avaient contribué à façonner une image négative et violente du personnage. Depuis la sortie de son premier livre, je lisais tout sur Paul Watson. Il me semblait qu'à travers ses lignes j'avais réussi à discerner sa personnalité. J'allais devoir faire face à cette étrange ambiguïté: m'adresser à un homme dont je connaissais la vie, qui était devenu un peu une partie de moi-même et qui évidemment ne savait rien de moi.Une page griffonnée de phrases en anglais allait m'aider à formuler mon souhait le plus cher: "Je dirige la collection de documentaires "Héros de la nature" et je voudrais que vous soyez mon premier héros"... J'hésitai. Est-ce que la présentation que j'avais prévue était suffisamment flatteuse pour convaincre cet homme de participer à mon documentaire? Paul Watson, adoré ou détesté, n'avait jamais accepté que la télévision fasse son portrait.Mon anglais était plus qu'imparfait, et je ne me sentais pas en confiance. Pourtant, après de longues conversations, j'avais réussi à convaincre Andrew Christie, le directeur des informations de la Sea Shepherd Conservation Society, l'organisation non gouvernementale de Paul Watson, de me donner son numéro de téléphone satellite (...). Restait à composer le numéro. Ce que je fis, dans un anglais bredouillant.- Bonjour, je suis Natacha Calestrémé, pourrais-je parler à Paul Watson?- Je suis Paul Watson!- Po,po,po... Paul Watson?- Oui!- ...Et je lui raccrochai au nez.Un trop-plein d'émotions me coupait le souffle. J'attendais cela depuis si longtemps. Sa voix grave et chaude était empreinte d'autorité. Un capitaine de navire ! J'étais intimidée. Et totalement désespérée. En raccrochant, je venais certainement de perdre l'unique chance de le convaincre. Quelle stupidité! Sans réfléchir aux formules anglaises pour m'excuser et expliquer mon embarras, je recomposai le numéro.Il décrocha le combiné en riant. Je compris qu'il riait depuis mon premier appel. Son sens de l'humour venait peut-être de me sauver.- Veuillez m'excuser, j'étais très impressionnée...- Ce n'est pas grave... , répondit-il en riant encore. Que voulez-vous?- Je veux faire un documentaire sur vous...- C'est d'accord!Quarante secondes de négociation, si l'on peut appeler ça une négociation! J'ai froissé mon argumentaire en dix-huit phrases et j'ai hurlé ma joie, du bonheur plein le coeur. L'aventure commençait, ma vie venait de changer, radicalement. Nous étions le 2 mars 2000.